L’odyssée de l’équipage du bombardier MZ 630 ZA-S de la 10 ème escadrille.

Le cas du MZ 630

L’odyssée de l’équipage du bombardier MZ 630 ZA-S de la 10 ème escadrille donne un exemple assez complet de la problématique de la récupération d’aviateurs en Eure et en Eure et Loir. Dans cet exemple, le réseau Hunter-Nord est à la manœuvre.

Voici le sort des membres de cet équipage :

Squadron leader : Stanley Booker, récupéré par la résistance, trahi et fait prisonnier.
Pilote : Alexander Murray tué lors de l’attaque, repose au cimetière de St André de l’Eure
Radio : John Williams tué lors de l’attaque, repose au cimetière de St André de l’Eure
Bombardier : Ernest F Stokes blessé lors de sa chute en parachute, prisonnier sanitaire

Mécanicien : John Osselton récupéré par la résistance, trahi et fait prisonnier.

Mitrailleur arrière : Clifford Hallet récupéré par la résistance, camp de Freteval, libéré le 14 Août.
Autre Mitrailleur : Terrence Gould Caché par l’habitant et un résistant, trahi et fait prisonnier.

Le départ :

 Il est 22h 30, ce 2 Juin 1944, sur le petit aérodrome « Melbourne » dans le comté du Yorkshire transformé en base aérienne par la Royal air force, la 10 ème escadrille s’apprête à décoller.

Dans  4 jours  ce sera le débarquement mais, même si les hommes se doutent que quelque chose d’énorme se prépare, ils n’ont aucune certitude du lieu et de la date. Ils savent cependant que les missions se succèdent à un rythme jamais égalé, eux-mêmes sont beaucoup plus sollicités pour des vols de bombardement ou de surveillance.

L’escadrille est équipée de bombardiers du type « Halifax » composé d’un équipage de 7 hommes dont 2 postes de mitrailleuses, un sur l’arrière de l’avion et l’autre au-dessus du fuselage entre le nez et la queue de l’appareil.

Leur mission vient de leur être signifiée, ce soir ce sera la gare de triage de Trappes au sud-ouest de Paris. C’est un nœud ferroviaire très important, de là partent tous les trains desservant l’ouest de la France.

Parmi l’équipage, chacun se doute que cela est en lien avec un débarquement possible sur les côtes de France, il s’agit de paralyser les transports de troupes et de matériel de la Wehrmacht vers les côtes françaises.

C’est une mission de 5 heures de vol, le retour sera plus rapide l’avion étant allégé de sa cargaison de bombes mais la météo est bonne, le voyage se fera dans la crainte d’être repéré.

Dans le MZ 630 ZA-S, l’angoisse étreint l’équipage comme à chaque départ vers une mission de bombardement.

Depuis quelques temps cependant, la Luftwaffe est moins agressive, son potentiel a été réduit par les attaques incessantes des armées de l’air alliées sur les bases militaires et puis la nuit et plus propice à la furtivité, c’est ce que se dit l’équipage dont le chef de bord est Stanley Booker, un grand gars sympathique très professionnel. On leur a dit que l’intégralité de l’effectif pour cette mission serait composée de 105 appareils bombardiers, ce qui est considérable.

            Fausse carte d’identité de Stanley Booker


Les obstacles, ils les connaissent bien, d’abord c’est la FLAK, la DCA allemande au passage des côtes françaises mais c’est aussi celle des unités terrestres dont chaque régiment est équipé pour se défendre des attaques aériennes. A plus de 4000 m d’altitude, la nuit dans les nuages le risque d’être abattu de cette manière est très faible, les troupes allemandes au sol entendront bien le vrombissement de cette armada aérienne, ils tireront dans la direction à l’oreille.

Cependant les puissants projecteurs de sol créent l’angoisse des équipages d’être pris dans les rayons lumineux. Toutefois, le risque d’être atteint par un obus est faible si le ciel est nuageux.

Reste la chasse, les redoutables Messerschmitt qui peuvent attaquer de jour comme de nuit. Le danger ne viendra probablement qu’au moment du retour, ce moment tant redouté ou les avions ont juste assez de carburant pour rentrer à la base, toute modification de trajectoire liée à une attaque aérienne ou les avions se dispersent, augmente le risque de tomber en panne sèche avant l’arrivée à la base.

De plus, une telle armada aérienne ne passe pas inaperçue, il n’y a qu’à « taper dans le tas ». Cette tactique, les Allemands l’ont reprise à leur compte depuis qu’ils sont en infériorité numérique. En fait, ce sont les Anglais eux même qui ont mis cette stratégie au point lors de la bataille d’Angleterre.

Les bombardiers passaient mais étaient pris en chasse au retour de mission lorsque leur réserve de carburant était juste suffisante pour rentrer sur leurs bases. Beaucoup ne rentrèrent pas, s’abimèrent en mer. Les pertes ennemies étaient importantes malgré l’énorme infériorité numérique de la RAF.


Maintenant c’est le tour des allemands de jouer cette carte, ils ne sont plus capables d’affronter l’armada alliée de face et les redoutables « spitfires » (cracheurs de feu) de deuxième génération, beaucoup plus rapides et maniables que la première génération. C’est donc au retour que le risque peut se présenter, il n’y aura pas d’escorte de chasseurs. Mais chacun croit en sa bonne étoile, ils sont si nombreux et la nuit est si noire…

Bientôt le signal du « pistar » pour le décollage. En bon responsable, Stanley fait le point. D’abord la route à suivre, il est le navigateur et chef de bord. Il vérifie les cartes c’est aussi son propre équipage.

Est-ce que tout le monde est en place ? Tout d’abord le pilote, le FO (flying officer) Alexander A. Murray. Il est à son poste, une main sur le manche et l’autre sur les leviers d’accélération des 4 moteurs. Il est concentré sur sa manœuvre de décollage, l’avion est alourdi par la charge des bombes.

 Puis c’est autour du W/O (warrant officer) J. Williams adjudant radio. C’est lui qui maintient le contact avec les autres aéronefs et le sol. C’est ensuite le Sergent bombardier E.F Stokes. Son rôle n’interviendra qu’à l’approche de l’objectif, il guidera le pilote pour que celui-ci présente l’avion au plus près de la zone d’impact des bombes. Mais auparavant il se sera assuré que le chargement a bien été fait par les rampants selon la procédure.

Viennent ensuite les deux mitrailleurs, les sergents Terrence dit Terry Gould et le sergent Clifford Hallet dit Cliff Hallet. Tous deux à leur poste.

Enfin lui- même, le « Squadron leader » Stanley Booker, navigateur de l’appareil et chef de bord. Il a vérifié que les parachutes étaient bien accessibles dans l’avion, on n’aime pas y penser mais c’est mieux de le faire. Pourquoi l’idée lui vient qu’il doit payer une livre Sterling à celui qui lui plie et vérifie le paquetage du parachute ? En fait, ce n’est pas à lui qu’il doit cette somme mais à l’autorité militaire qui demande de rémunérer les « rampants sans grade » qui plient les parachutes pour le personnel volant et les entretiennent. Faudra qu’il y pense. De même le Mess ou il prend ses repas, combien doit-il ce mois-ci ? Il verra ça au retour, Stanley n’aime pas laisser les choses en attente.

22 h33, le signal de décollage vient d’être donné. Murray pousse à fond les manettes des gaz, l’avion est lourd, il vibre de partout, il s’élance enfin sur la piste pour rejoindre ceux qui attendent en l’air.

Formation exécutée, direction Sud Est. La base de Melbourne est située à environ 500 km des côtes françaises, il faudra environ 2 heures pour atteindre l’objectif.
En l’air, d’autres unités se joignent à la formation. Bientôt se seront 105 bombardiers qui se rueront vers la cible française. Dans le cockpit, les messages arrivent de partout, les plaisanteries fusent sur les « Jerries » bouffeurs de patates (les boches), ou les dernières conquêtes féminines. Stanley est concentré sur ses cartes, il pense à sa jeune épouse Marjorie, infirmière en hôpital, à son parcours qui l’a amené jusque dans cet avion.

A la déclaration de guerre il a 17 ans lorsqu’il s’engage dans la RAF. D’abord apprenti mécanicien puis 18 mois d’entrainement dans une base formant le personnel naviguant. C’est au « Lord’s cricket ground » de Londres qu’il a été envoyé pour passer les tests de sélection, ensuite ce fut Brighton pour une formation de navigateur et enfin le nord du pays de Galles pour l’entrainement au pilotage
dont il est sorti major de promotion. Sa formation s’est terminée au « bomber command » à Abington. Un long processus qui l’a amené sur ce siège comme chef de bord affecté à la 10 ème escadrille de bombardement stationnée à « Melbourne » près de York, choix qu’il a fait du lieu et de l’unité pour être plus près de sa jeune épouse Marjorie, devenue infirmière dans un hôpital de la région.

Durant 3 mois et Jusqu’à cette nuit du 3 Juin, les missions qui lui étaient confiées consistaient à bombarder des lignes de chemin de fer en Allemagne ou d’autres cibles non considérées comme stratégiquement prioritaires par l’ennemi tels les sites de production d’armement. Les cibles trop nombreuses et très dispersées étaient donc mal défendues, le risque de se faire abattre était moindre. Le but de ces raids était la désorganisation du réseau ferroviaire Allemand pour gêner les transports de troupes et de matériel vers le futur front.

La mission de ce soir est du même type, il s’agit de la gare de triage de Trappes important nœud ferroviaire au sud-ouest de Paris pour le transport de troupes et de matériels vers la côte Atlantique.

Mais leur route les amène à proximité d’une importante base aérienne de la Luftwaffe, celle de St André de l’Eure, elle est presque sur leur tracé. De nombreux chasseurs sont stationnés là, prêts à intervenir sur n’importe quel point de la côte Normande jusqu’à Calais qui n’est qu’a moins d’une heure de vol pour un Messerschmitt. Ces avions sont rapides et bien armés pour la chasse de jour comme de nuit. Londres le sait, la résistance locale l’informe des moindres mouvements sur cette base.

Pour tromper l’ennemi anglais, lui faire croire qu’une importante flotte aérienne est stationnée sur une aire de décollage toute proche, les Allemands ont fabriqué des leurres, des avions en bois alignés sur une fausse piste afin de détourner les bombardements de la vraie piste. En réponse, la RAF, parfaitement informée par la résistance locale, a bombardé les leurres avec des bombes en bois couvertes de messages humoristiques à l’attention des soldats allemands, sacré humour anglais !

Mais pour l’heure, l’escadre aérienne progresse vers sa cible. Voici la Manche : enfin il le suppose ! Il fait si noir. Quelques flashs lumineux déchirent la nuit et le coton dans lequel ils volent, c’est la Flack de la côte qui tire dans la direction du bruit, pas de casse.

Une demi-heure plus tard, soudain l’alerte est donnée, ils approchent de la cible. Dans le casque de Williams le radio, les messages arrivent de toutes parts des autres formations. Il s’agit de suivre la procédure habituelle du bombardement en « tapis », ils sont aguerris à cet exercice.
Le « bombaimer » J F Stoke est à la manœuvre derrière son viseur, il crie ses instructions au pilote
pour qu’il s’approche au plus près de sa cible puis lâche sa cargaison en calculant la trajectoire des bombes en fonction de la vitesse de l’avion, c’est ce qu’on lui a enseigné. Le largage est effectué, ceux qui viennent derrière le renseigneront sur les points d’impact comme lui renseigne ceux qui sont passés avant. Le bombardement est un succès, les infrastructures ferroviaires sont quasiment détruites, seule ombre au tableau, quelques bombes n’ont pas atteint leur objectif mais sont tombées à côté sur des maisons individuelles, plus de 20 civils perdront la vie ce soir-là, mais c’est malheureusement le prix de la guerre, bien d’autres succomberont.

Parmi les équipages, aucune perte n’est à déplorer jusque-là. Les avions amorcent leur virage à 180° pour le retour. Dans les têtes chacun pense au bon déjeuner qui les attend à la base, il est un peu moins d’une heure du matin.
Par malchance, se doutant d’un débarquement prochain sans savoir ou exactement, les allemands venaient juste de renforcer le secteur Dreux St André de l’Eure. 60 chasseurs supplémentaires et 5 bombardiers étaient stationnés sur la piste. Ce sont ces chasseurs qui décollèrent au passage des bombardiers britanniques aux abords de St André.


1 heure 09, le bombardier est le second dans la file, il est en approche du village de St André de l’heure qu’il va survoler. Soudain l’alerte retentie dans la cabine, les messages arrivent de partout de la part des autres bombardiers, « Messerschmitt à 6 heures ! Messerschmitt à 3 heures !». Ils sont attaqués de toutes parts. Venus de partout et de nulle part, retournant dans l’obscurité aussi vite qu’ils en sont sortis, les soixante chasseurs à croix gammée fraichement arrivés se jettent sur les
bombardiers. Deux chasseurs prennent l’Halifax pour cible. Gould et Hallet dans leur « nid de mitrailleuse » tirent des rafales rageuses sur des formes qu’ils devinent plus qu’ils ne les voient.


Soudain, c’est le drame ! Une rafale vient d’atteindre le bombardier. Les deux moteurs bâbord sont en feu, l’intérieur de l’avion est dans l’obscurité. Murray le pilote, s’affaisse sur son siège touché par un projectile. Alors John Williams, l’opérateur radio se lève de son siège et se saisit du « manche ».
Avec beaucoup de difficultés il parvient à stabiliser l’avion quelques instants, temps nécessaire au reste de l’équipage qui ne l’a pas fait, d’endosser leur parachute et de se préparer à sauter, ce héros restera aux commandes de l’avion jusqu’à son explosion avant l’impact.

L’avion survole St André mais fait un demi-tour vers le sud pour échapper aux chasseurs, c’est à ce moment-là qu’il est touché. Clifford Hallet sans attendre l’impact des projectiles lâche son poste de tir et s’élance le premier dans le vide au-dessus de St André. Juste avant son saut, Hallet le mitrailleur dorsal, voit un
Messerschmitt voler au-dessous du bombardier, il aperçoit le pilote allemand qui le regarde aussi puis celui-ci disparait sous l’appareil. Voulait il contrôler que l’avion était bien perdu ce qui lui permettrait de mettre une croix supplémentaire sur le fuselage du sien ou que l’équipage arrive à s’en sortir ? Certainement les deux.

Dans le rapport il indiquera à sa hiérarchie que des ennemis ont sauté et sont dans la nature. L’avion qui venait de l’est, amorce un premier virage vers le sud, la vallée d’Avre. Au-dessus de Boissy en Drouais, l’avion refait un demi-tour vers le nord-ouest pour sediriger vers Illiers l’Evèque.

C’est à ce moment que le mécanicien John Osselton se lance à son tour dans le vide, Il est aux abords du village de Boissy en Drouais, c’est le second à sauter.
L’avion refait un demi-tour vers le nord, il survole le nord-ouest de Dreux en perdant rapidement de l’altitude. Le Sergent bombardier Ernest Stoke a du mal à se faufiler dans la trappe d’évacuation située sous le siège du navigateur, une sangle gène sa sortie.

Pour le dégager, Stanley Booker le pousse brutalement vers l’extérieur avant que lui-même n’évacue l’avion par la même sortie. Ils sont les troisième et quatrième membre d’équipage à quitter le bombardier en feu, ils n’étaient plus qu’à 1000 pieds du sol environ.


Enfin, le mitrailleur arrière Terrence Gould est le cinquième et dernier à sauter. Jusqu’au dernier moment ce héros anonyme n’a pas lâché sa mitrailleuse pour couvrir ses compagnons. Il quitte l’avion au moment où celui-ci aborde son dernier piqué avant l’explosion et le crash. C’était à quelques dizaines de mètres du sol. Il est tombé tout près de la piste du hameau de Jersey.
Stanley et les autres n’ont mis que quelques secondes pour atteindre le sol. De là, ils ont vu l’avion continuer sa chute dans le lointain avant d’apercevoir la gerbe de feu de l’explosion survenue avant l’impact au sol du côté du village de Marcilly la Campagne.

Le geste héroïque de Williams lui a coûté la vie mais les autres ont sauvé la leur. 18 appareils sont abattus cette nuit-là, les chasseurs les poursuivent dans la nuit, de nombreux équipages tomberont, avec leur avion ou en parachute.

Ceux qui auront cette chance seront éparpillés sur des dizaines de Km, du travail pour les résistants et de gros risques pour les civils qui les recueilleront.


Les 5 rescapés du MZ 630 sont maintenant dans la nature, chacun perdu au hasard de son point de chute. Stokes, le « bombaimer », largueur de bombes, a fait une mauvaise réception, il est gravement blessé, il s’est fracturé la jambe et la hanche. Au petit matin du 4 Juin, Mr Yver, agriculteur à Jersey commune d’Illiers l’Evèque, se rendant à son champ, entend soudain un appel de détresse. Il découvre le « bombaimer » Ernest Stokes couché au sol gémissant. Mr Yver sait que la
blessure de cet homme est trop grave, la résistance n’a pas les moyens de le prendre en charge et de le soigner. Il met le blessé dans une brouette et le ramène à la maison. Un médecin appelé confirme que la blessure ne peut être soignée que dans un hôpital bien équipé, ce qu’il est impossible de trouver dans les conditions présentes. La mort dans l’âme il se résigne à aller voir les allemands demeurant au « château de jersey » afin de leur demander de prendre en charge le sergent Stokes.


Pour avoir ramené cet homme chez lui, il fut rudoyé avec son épouse mais finalement les choses en restèrent là. Cette décision difficile à prendre pour un patriote sauva certainement le sergent Stokes de beaucoup de souffrances et même une mort. Il fut soigné à l’hôtel Dieu puis interné en camp de prisonnier de la Luftwaffe en Allemagne en attente d’une libération hypothétique qui vint avant la fin du conflit.


Pour les 4 autres, Booker, Gould, Osselton et Hallet, la situation est différente, chacun de son côté doit trouver son salut, il va passer temporairement par l’accueil des habitants.

 Fausse carte d’identité de John Osselton



De là où il se trouve maintenant, regardant les avions s’éloigner, Stanley Booker se dit que ce matin il ne sera pas au petit déjeuner avec les autres au mess de la base, il s’en fallait d’une heure et demi. Comment va-t-il s’en sortir ? D’ailleurs où est-il ? Il ne connaît rien de ce pays, des gens et de ce qu’il s’y passe.
Que va penser sa femme lorsqu’on lui annoncera qu’il a disparu avec son avion ? Il est 1 h15, il faut échapper à l’ennemi, aide-toi le ciel t’aidera.


Par d’autres aviateurs revenus en Angleterre après avoir été abattus, ils savent que la population et la résistance sont leur seule chance de s’en sortir, mais les risques sont énormes, les résistants sont pourchassés, torturés, assassinés ou envoyés en camps de travail ou de concentration. Les traitres et les collabos rémunérés par la Gestapo sont partout, celle-ci a reçu l’ordre formel d’Hitler de considérer comme espion tout militaire pris en habit civil. C’est la torture et le camp de concentration si on en réchappe, ou alors la mort.


Stanley constate qu’il est tombé à la lisière d’un bois. Il ne le sait pas mais il se trouve à quelques dizaines de mètres à l’ouest du hameau de Jersey (ou Gersey) à l’orée d’un petit bois. Il saigne de la joue, en s’ouvrant brutalement, une cordelette du parachute lui a profondément râpé le visage, de plus son genou le fait souffrir, peut-être une entorse causée par l’impact d’une mauvaise réception au sol. Il reste là un moment ne sachant que faire ni ou aller, la nuit est noire, il n’y voit rien ou presque, il ignore qu’il est tombé sur le plateau surplombant la vallée d’Avre. En levant les yeux il voit les derniers avions de l’escadrille filer vers l’ouest et le pays.


Stanley a vu son avion tomber pas très loin, il faut qu’il s’écarte de là car les allemands vont venir vérifier la présence de cadavres et constater que tous ne sont pas morts. Se fiant à la lune, marchant péniblement, il prend la direction du sud, vers Dreux à travers champs. Il a faim, regrette amèrement de ne pas avoir pris ses barres de chocolats lorsqu’il a culbuté son pupitre de navigateur pour dégager la trappe située en dessous. Il a marché longtemps malgré son genou blessé.

Au petit matin, il aperçoit la silhouette d’un homme dans un champ, ce n’est pas un soldat allemand. Il va vers lui, il l’interpelle. Dans son meilleurs français approximatif, Stanley lui explique qu’il est officier anglais, que son avion vient d’être abattu qu’il est blessé à la jambe et qu’il a besoin d’aide. L’homme, d’un certain âge, tout à coup se fend d’un énorme sourire, il prend Stanley dans ses bras, l’embrasse en lui expliquant que son propre fils est à Londres aux côtés du Général De Gaulle. Il demande ensuite quand aura lieu le débarquement dont toute la résistance savait l’échéance proche. Stanley lui fait la meilleure réponse qu’il peut se permettre de faire ne sachant pas lui-même la date exacte :


« Eh bien ! C’est pour bientôt » lui répond-t-il !
« Il faut vite partir lui dit l’homme, je connais des gens qui peuvent vous cacher, nous vous aiderons à retourner en Angleterre ».


S’aidant comme il le pouvait, boitant lourdement, Stanley trouve la force de marcher jusque dans la petite vallée de la rivière Avre toute proche des villages de Muzy et St Georges Motel. L’homme le guide vers une grande bâtisse à l’écart du village et de la route qui a l’aspect d’un petit château. Il le met en garde contre le chien de la maison et lui explique que la propriétaire se nomme Mme Lefèvre, qu’elle est britannique de naissance marié à un entrepreneur mais qu’elle vit seule avec sa sœur Mlle Forge ainsi qu’une aide de maison au prénom de Geneviève (il s’agit de Geneviève DENOS). Occasionnellement, une femme du nom de Lily dont le mari était prisonnier de guerre, faisait des séjours au « château ». Cette personne n’était autre que le « courrier » des résistants Dablin dit Mathurin et de Mr Bergeron entrepreneur à Dreux.

A son arrivée dans la maison du « Château », Stanley dû subir un premier interrogatoire de la part de Mme Lefevre qui voulut s’assurer qu’elle avait bien affaire à un authentique aviateur britannique et non à un espion. Elle lui posa de nombreuses questions sur l’Angleterre et notamment sur la ville de Brighton. Stanley y répondit de bonne grâce. Plus tard, Mr Bergeron et Mathurin vinrent à leur tour interroger Stanley pour s’assurer qu’il était bien ce qu’il prétendait être. Ils firent des photos afin de lui fabriquer une fausse carte d’identité sous le nom de « Pierre Lecomte », un jardinier de St Vigor le Grand.


Stanley qui n’en revenait toujours pas d’être en France dans la maison d’une Anglaise et d’avoir reçu les meilleurs soins y compris pour son genou, Le 6 Juin, au troisième jour de sa présence chez Mme Lefevre, il fut réveillé brusquement à 7 heures du matin par les deux occupantes du « château ». Elles pénétrèrent dans sa chambre avec un grand plateau sur lequel était posé une bouteille de
Champagne. Elles lui annoncent la bonne nouvelle : Un débarquement allié est en cours, la résistance le savait avant les Allemands.
Dans ses mémoires, Stanley indique qu’il était très content d’apprendre la nouvelle, mais aussi très gêné car il dormait nu, sans pyjama, ce vêtement pour homme ne faisant pas partie de la garde-robe de la maison. Mais pour tous, c’est la joie et le champagne est bon. Cependant il demeure une ombre au tableau, Stanley s’inquiète pour sa femme, « croit-elle que je sois mort ? » et moi qui bois du Champagne en compagnie de deux femmes !!!


Ce même jour du 6 Juin, à la suite de l’incendie d’un container de carburant largué par un vol de P51 américain et probablement oublié par les résistants dans un champ voisin, les allemands devinrent soudainement plus actifs sur le secteur. Stanley fut exfiltré par Lily en passant par la porte arrière du « Château ». Il se réfugia dans un abri à vaches dans le bois jouxtant le sanatorium du lieu-dit « les hauts buissons » (plutôt les Bas Buissons).


Stanley fut transféré au Verger de Mme Orial. En arrivant dans cette nouvelle maison ou il resta plusieurs semaines caché, Stanley eut la surprise et la joie d’y retrouver un membre de son équipage, le mécanicien John Osselton, celui qui s’était parachuté aux environs de Boissy en Drouais. Durant le séjour, ils devaient fréquemment quitter les lieux et se réfugier dans les bois.

En effet, la Luftwaffe avait installé une station radio éphémère tout près de la maison de Mme Orial. Durant ces 3 jours inconfortables, une fermière les alimentait tandis que Lily et Mathurin leur rendait de fréquentes visites. Mme Julienne Duval leur fournissait aussi des vivres et leur procurait un abri lorsque les Allemands s’approchaient d’un peu trop près de leur cache. Généralement en soirée, Lily et Mathurin arrivaient subrepticement au verger, ils allaient dans le poulailler, récupéraient un poste émetteur et un pistolet Luger puis se rendaient dans les bois pour un temps indéterminé. Au retour de leur vacation, ils remettaient la radio et le pistolet dans leur cache du poulailler puis disparaissaient comme ils étaient venus.


Lorsque John Osselton vient de s’élancer de l’avion, il ignore qu’il se trouve aux abords du hameau de Boissy en Drouais.
Le jeune cultivateur Louis Godin se trouvait cette nuit-là dans un champ. Il voit nettement un parachute se détacher de l’avion en feu. Il se porte vers le point supposé d’impact du parachutiste. Il appelle, Osselton s’extrait d’une botte de foin ou il s’était caché. Le jeune Louis Godin constate que John a du mal à marcher, il est blessé à la cheville et au poignet. Aucun des deux ne parle la langue de l’autre mais Louis Godin arrive à persuader John de le suivre jusqu’à la ferme familiale de Boissy
en Drouais. Il y resta caché 3 jours, fut soigné de ses blessures à la jambe et au poignet puis fut convoyé par le jeune Louis Godin directement chez Mme Orial au verger de Muzy. Elle avait déjà caché des aviateurs américains. Ce déplacement à pied fut des plus risqué, en effet les alliés venaient de débarquer sur la côte normande et la N12 qu’ils devaient traverser, était constamment encombrée par les convois allemands qui sont bombardés par les avions alliés pour empêcher les renforts et l’armement de se rendre sur les lieux du débarquement.

Durant son séjour chez Mme Orial, tout comme Stanley, les mêmes résistants lui procurèrent une fausse carte d’identité, il s’appelait René Bardin.
Ils demeurèrent 3 semaines chez Mme Orial. Durant leur séjour, ils eurent plusieurs visites dont celle de Mr Bergeron l’homme aux fausses cartes d’identité et Monsieur Moreau.
Dans son recueil de souvenirs, le résistant Drouais Francis Dablin dit Mathurin, raconte comment, dans le courant du mois de Juin 1944, il a participé au transfert de Stanley Booker de la maison du « château » de Mme Lefèvre à St George Motel ou il était caché, vers la demeure de Mme Orial à Muzy dénommée le Verger. Durant ce transfert à pied, Stanley Booker mesurant 1m 85, portant un pantalon trop court, et a bien failli être démasqué par un petit groupe de soldats allemands marchant
sur la même route en sens inverse.

Le résistant Francis Dablin a alors créé une diversion en apostrophant les allemands leur demandant la direction de St George Motel, petit village proche. Les deux soldats ne comprenant pas, ceux-ci ont eu leur attention capturée pendant que Stanley Booker hâtait son passage. Ce recueil des souvenirs de résistance de Francis Dablin a été traduit en anglais par sa propre fille demeurant aux USA ayant épousé un américain. Cet ouvrage très intéressant n’existe plus en français, il est disponible en France dans sa seule version anglaise.
Au matin du 28 Juin, Mr Bergeron vint les informer que la maison du château de Mme Lefèvre (nom donné par Stanley Booker à cette demeure imposante), avait fait l’objet d’une fouille par les allemands. Ils suspectaient qu’un parachutage d’armes avait été caché dans la maison ou la cave.


Dans le même temps on les informa que leur départ était fixé pour le soir même vers une ferme près de Maintenon. Ils devraient attendre l’arrivée d’un avion de la RAF apportant du matériel. Mr Bergeron donna à Stanley une volumineuse enveloppe scellée à la cire d’une taille d’approximative de 40 cm par 25. Cette enveloppe devait être remise au seul pilote de l’avion Lysander qui devait les prendre pour retourner en Angleterre et à personne d’autre.


Au soir de cette même journée, Mme Orial très émue, les accompagna par des chemins détournés évitant le village de Muzy, jusque dans la cour d’une petite église ou instructions leur avait été données d’attendre qu’un véhicule vienne les chercher.
Lorsque, une fois la guerre terminée, Stanley revint voir Mme Orial, celle-ci lui avoua que, n’étant pas tout à fait convaincue de cette organisation, elle s’était cachée parmi les tombes du cimetière afin de voir si l’arrangement tenait.
La durée d’attente dans la cour de l’église dura 1 heure puis une traction avant Citroën conduite par un homme jeune accompagné d’une femme qu’il présenta comme son épouse s’arrêta. L’homme prétendit qu’il était un médecin membre de la résistance raison pour laquelle il avait accès à l’essence pour sa voiture. Ils partirent tous les quatre, les 2 aviateurs assis à l’arrière, en évitant le centre de Dreux.

Finalement ils arrivèrent dans une ferme isolée proche de Maintenon. Le lieu était sale et mal entretenu en total contraste avec ce qu’ils avaient vécu dans les maisons ou ils étaient jusque-là cachés.
Le fermier les amena dans une grange ou deux américains peu soignés se trouvaient déjà ; Haskins et Scott qui avaient été amenés la veille par le même couple en traction avant. Ils attendaient mais il commença à pleuvoir violemment ce qui pouvait compromettre le rendez-vous avec l’avion. Un inconnu se présenta, il annonça que les plans avaient changé et qu’ils devaient passer la nuit dans la grange. Les quatre hommes passèrent une mauvaise nuit, couchés à l’envers tête-bêche. Le doute s’inséra, Ils ne se sentaient plus en sécurité.


29 Juin : La même voiture Citroën conduite par le « faux médecin résistant » vint chercher Les deux américains pour être conduits en un lieu plus sûr. Vers midi ce même jour, la voiture revint pour récupérer Stanley Booker et John Osselton pour les amener au centre de Paris à l’hôtel Piccadilly, un lieu de rendez-vous connu de la Gestapo. Ils restèrent cloitrés deux jours dans cette chambre à ne rien faire sauf observer le mobilier antique des pièces annexes.
Il s’agissait en fait d’une maison de « rendez-vous galants ».


Ier Juillet : les deux hommes furent séparés, Stanley fut arrêté par la Gestapo et amené à l’avenue Foch quartier spécialisé dans les interrogatoires.
Le résistant « Moreau », instituteur à Illiers L’Evèque et membre du groupe du pharmacien de Chartres « Picourt », a rencontré aussi Booker et Osselton chez Mme Orial. La résistance ne pouvant pas acheminer les fugitifs vers les ports de la côte Atlantique, un choix avait été fait de transférer les aviateurs à des groupes de résistants passeurs ou, de réseaux en réseaux, ils étaient convoyés jusqu’aux pieds des Pyrénées, objectif Gibraltar par l’Espagne puis l’Angleterre. Un très long voyage dans des conditions difficiles avec les obstacles à traverser, l’Espagne franquiste et les Pyrénées ou de nombreux fugitifs et passeurs perdirent la vie.


Mr Moreau, l’instituteur résistant d’Illiers l’Evèque, sera aussi dénoncé par le traitre Jean Jacques Desoubrie après une soirée en sa compagnie ou, durant le repas, il se laissera aller à certaines confidences sur son activité dont sa participation à la destruction du pont ferroviaire de Chérisy. Il pensait avoir affaire à un ami résistant. Remis à la Gestapo puis envoyé en camp de travail, il en réchappera et continuera sa carrière comme directeur d’un groupe scolaire dans un village proche.

L’homme, le conducteur de cette traction qui les avait convoyés jusqu’à l’hôtel Piccadilly n’était autre que le célèbre agent double Jean Jacques Desoubrie, belge et électricien de métier qui, se faisant passer pour résistant remettait les aviateurs alliés à la Gestapo. Des centaines d’autres aviateurs fugitifs de toutes nationalités ennemies du Reich furent trahis ainsi. Dans ses mémoires, Stanley déplore que personne ne l’ait informé que seuls les « collabos » et les allemands pouvaient rouler en traction avant, en effet les usines Citroën avaient été réquisitionnées pour produire exclusivement pour la Wehrmacht.

Après leur capture par la Gestapo, Stanley subit plusieurs séances de tortures, les allemands ayant trouvé l’enveloppe que Mr Bergeron lui avait remis avec ordre de ne la donner qu’au pilote du Lysander. Suite à ces interrogatoires douloureux où Stanley Booker n’avoua rien, ni sur celui qui lui remit cette enveloppe, il fut interné à la prison de Fresnes avec plusieurs centaines d’autres aviateurs, résistants et civils.


A la mi-Août, à l’approche des alliés, malgré l’intervention de l’Ambassadeur Suédois pour que ces prisonniers ne partent pas, la prison fut entièrement vidée de ses occupants. 2000 prisonniers dont 168 aviateurs alliés, entassés à raison de 80 par wagon, furent embarqués dans un train à bestiaux en direction du camp de concentration de Buchenwald. Ce terrible voyage dont on peut imaginer les conditions épouvantables, sans aucune hygiène, la faim, la soif, l’impossibilité de s’allonger, dura 5 longues journées. Ce fut le dernier train de prisonniers au départ de Paris vers un camp en Allemagne.

Moins d’une semaine après éclatait le soulèvement de la capitale pour sa libération définitive et l’arrivée de la division Leclerc. Durant ce voyage, S Booker raconte que des prisonniers résistants réussirent à arracher une partie du plancher de leur wagon et purent s’enfuir lors des arrêts du train. D’autres, condamnés par la gestapo, furent fusillés au pied des wagons.
Hitler avait ordonné la destruction de Paris, il en fut empêché par la résistance qui souleva le peuple de Paris quelques jours après le départ du dernier train pour Buchenwald. En effet les allemands furent empêchés de circuler dans les rues barricadées par les insurgés. Ils ne purent donc accéder à leurs objectifs destinés à être détruits. Les renforts demandés par le gouverneur de Paris Von Choltitz n’arrivèrent jamais. Parmi les 12000 hommes qui composaient la garnison de Paris, un grand nombre étaient des administratifs non aguerris aux combats. Il est faux de croire que celui-ci refusa d’exécuter l’ordre d’Hitler, Choltitz n’en avait pas les moyens et pourtant c’était un des généraux des plus fidèles à Hitler.


Le Sergent mitrailleur Terrence Gould, boucher de son métier et mitrailleur à bord, a lui aussi sauté avec succès en parachute. Il est tombé dans ce qu’il appelle dans son rapport « un aérodrome ». Ce n’est en fait que ce que les habitants appellent maintenant « les pistes », boucle de 4,5 km en béton proche du lieu-dit « Jersey ou Gersey », hameau aussi rattaché au village d’Illiers l’Evèque situé à 3 km environ.

Lui aussi s’est caché dans les meules de foin pour éviter les patrouilles allemandes, il n’était qu’à quelques centaines de mètres d’une bâtisse appelée « le château de Jersey » dans laquelle étaient logés des officiers allemands et leurs aides de camp. Maurice Porcher l’a rencontré, caché sous un pommier, il l’a ramené à la ferme. Maurice et Fernande son épouse, ont caché Terry Gould le soustrayant in extremis à la patrouille allemande qui fit irruption dans la cour de la ferme à la recherche des fugitifs ennemis. Maurice Porcher avait eu la bonne idée de fournir à Terry Gould un vêtement de garçon de ferme qu’il avait enfilé in-extrémis. A l’arrivée de la patrouille Gould eut juste le temps de sauter par la fenêtre à l’arrière de la maison, de prendre une fourche à fumier et de se poster dans la porcherie ou, adossé à la clôture, il fit semblant de surveiller les porcs. Gould a été vu par la patrouille mais celle-ci ne lui a pas prêté attention, Pensez donc ! Un garçon de porcherie !!!


Terry Gould n’a séjourné que peu de temps à la ferme Porcher, il n’a pas couché à la ferme mais dans une maison annexe comprenant un pigeonnier et un puits dans lequel fut jeté le parachute de Gould, choses toujours recherchées par les allemands. En effet, des officiers allemands stationnés dans le « château de Jersey » à quelque 400 m seulement de la ferme, envoyaient quelquefois leurs hommes, souvent d’une manière impromptue, s’approvisionner en laitage et autres produits de
consommation. Impossible de refuser de les servir. Il fallut très vite trouver une solution de repli pour Terry Gould sous peine d’être un jour découvert, arrêté, torturé et envoyé en camp de concentration.


Mr Guicheux, Maire de Lignerolles, petit village à quelques km de Jersey, résistant notoire qui cacha des aviateurs et fournissait des renseignements aux alliés, accepta de donner refuge à Terry Gould.
Dans son rapport ‘secret défense’ écrit à l’intention de sa hiérarchie à son retour de captivité un an plus tard, Gould affirme que son transfert de la ferme Porcher à la maison Guicheux s’est effectué en vélo. La deuxième fille Porcher âgée alors de 19 ans à l’époque et toujours vivante à l’écriture de ce texte, affirme-elle que ce transfert s’est effectué en charrette agricole du genre bétaillère.


Durant son séjour chez le Maire de Lignerolles qui dura plusieurs semaines, Gould, au contact de Mr Guicheux, s’est formé aux petits actes de résistance comme le fait de mettre du sable dans le réservoir des véhicules militaires des officiers allemands de passage afin de les immobiliser.
Mais comme pour les deux autres, Booker et Osselton, Gould ne pouvait pas rester plus longtemps sans attirer l’attention de l’Allemand. La solution passait par la procédure habituelle c’est-à-dire, acheminer les aviateurs en Espagne en les convoyant de réseaux en réseaux jusqu’aux Pyrénées.
Point de départ un réseau parisien. Gould tomba dans le même piège que ses deux compagnons, à savoir qu’il fut remis involontairement au traitre J. J. Desoubrie pour être conduit dans un hôtel parisien ou un contact serait établi. Desoubrie, comme pour les autres, le remit directement à la Gestapo qui l’enferma à Fresnes ou, accusé d’être un saboteur, il subit quelques mauvais traitements avant d’être mis à son tour dans ce dernier train pour Buchenwald. Là, avec surprise, il retrouva ses
deux compagnons d’infortune.


Jean Jacques Desoubrie comme quelques autres étaient grassement payés par la Gestapo pour chaque aviateur capturé et livré. La résistance ne recevant jamais de Londres l’assurance que les aviateurs pris en charge étaient bien arrivés, commença à soupçonner Desoubrie de traitrise, mais celui-ci disparut à l’approche des troupes du général Patton sur Chartres qui fut libérée le 18 Août.


Le Sergent mitrailleur Clifford Hallet, fût, de tous, celui qui eut le plus de chance.
Lors de l’attaque par les chasseurs allemands, une partie importante de l’avion ainsi que les deux moteurs bâbords prirent feu. Avant même que l’avion soit touché à mort, Clifford mitrailleur, se dégagea très vite de sa tourelle dorsale, il fut le premier à sauter alors que, dans l’habitacle de pilotage Williams le radio essayait de prendre les commandes afin d’empêcher l’avion de piquer, Alexander Murray le pilote, n’était plus en mesure de le faire.


Clifford a sauté. Comme les autres, il se retrouve au sol sans savoir où il est, c’est la pleine nuit. Il rampe pour se cacher dans un bosquet puis décide d’essayer de dormir. Dans l’obscurité, il est soudain réveillé par des voix toute proches : sont-elles françaises ou allemandes se dit-il ? Par précaution il décide de fuir. Les voix étaient bien celles de soldats allemands en patrouille.
Clifford Hallet s’écarte de cet endroit en rampant « sous une pluie battante écrit-il », chose que contestera Stanley Booker qui affirme au contraire que cette nuit-là était claire. Hallet, les membres égratignés par cette course à quatre pattes, arriva enfin dans un champ de blé ou il pensa être plus en sécurité. Il resta couché là dans la pénombre jusqu’au petit matin. Il fut réveillé par la conversation de quelqu’un qu’il ne voyait pas mais dont il comprit qu’il s’agissait de l’allemand. En fait il s’était assoupi le long d’une clôture et, en levant la tête avec précaution, il vit une pancarte
avec ces mots écrits en allemand « Eintritt verboten ». Il était allongé en uniforme le long de la clôture du terrain d’atterrissage de la base aérienne de St André de l’Eure occupée par la « Luftwaffe », base de laquelle étaient partis les chasseurs qui avaient descendu son avion.
Il s’écarta vite de ce lieu et erra dans la campagne. Il rencontra un paysan qui l’amena chez lui, lui donna du café, du pain et un lit pour dormir quelques heures. Plus tard dans l’après-midi, un grand type costaud lui fut présenté, le fermier l’appelait « Michel » duquel il apprit qu’il faisait partie d’un réseau de résistance agissant sur le secteur.


Michel soumit Clifford à une série de questions afin de s’assurer qu’il avait bien affaire à un aviateur britannique, puis ils brûlèrent son uniforme bleu, lui donnèrent des vêtements civils puis Michel l’amena chez une famille de Nonancourt chez laquelle il demeura 3 semaines environ. En fait, Clifford Hallet demeura chez les Therossof avant d’être conduit dans une vieille voiture Fiat par un autre résistant en direction du sud en compagnie de 3 autres britanniques de la RAF. Leurs contacts
français ne leur donnèrent aucune indication du lieu où ils les amenaient.


Ultérieurement, Clifford Hallet apprit que celui qui avait organisé son évasion, le dénommé « Michel », avait été capturé et fusillé par les allemands quelques temps après sa rencontre avec lui.


Arrivés en bordure d’un bois après quelques heures de route, les 4 fugitifs firent la connaissance d’un homme en civil qui se présenta sous le nom de Lucien Belgrade. Il leur expliqua que dans cette forêt, il existait un camp dans lequel étaient regroupés de nombreux aviateurs alliés ayant été soustraits à la gestapo par les habitants. Il leur fit subir un interrogatoire afin de s’assurer qu’il avait bien affaire à des aviateurs britanniques, en effet, Berlin avait ordonné à ses services de renseignements d’infiltrer les réseaux de résistance spécialisés dans la récupération des aviateurs.
« Si vous n’êtes pas ce que vous dites, vous ne vivrez pas longtemps les prévint il ».
Suite à cet entretien, ils furent convoyés au plus profond de cette forêt ou ils eurent la surprise de se retrouver parmi plusieurs dizaines d’autres aviateurs alliés, beaucoup d’américains, des canadiens, des australiens, des néo-zélandais et d’autres nationalités.

 Ce camp était situé dans l’immense forêt de Fréteval, il accueilli jusqu’à 150 hommes qu’il fallait nourrir tous les jours et soigner pour certains. Un exploit !

Avant leur départ devant l’armée Patton, les officiers allemands s’adonnaient à la chasse dans cette forêt mais ils ne surent jamais que celle-ci abritait autant de fugitifs.
L’organisation était assurée par un colonel belge nommé Lucien Boussa qui était aussi le fondateur de ce camp et le chef d’un réseau local de résistance. Il était journellement en contact radio avec Londres, mais était aussi très introduit dans la population locale qui n’a jamais appris l’existence de ce camp avant sa libération. Lucien Boussa était aussi bien introduit chez les allemands avec lesquels il entretenait des relations amicales et joviales ce qui lui permettait de glaner de nombreux renseignements, en effet, dans ce lieu à quelques km du camp, étaient stationnés de nombreux chars d’assaut ainsi qu’un dépôt de munitions.

Hallet est resté plusieurs semaines dans ce camp ou l’entente entre nationalité n’était pas un « fleuve tranquille », les britanniques reprochant aux américains leur arrogance et leur légèreté, et les américains fustigeant les anglais dans leur petit pays : « everything’s bigger in America ».
Lors de son séjour dans ce camp, Hallet qui n’avait jamais joué au poker réussit à gagner beaucoup d’argent aux détriments des américains furieux. Lorsqu’il retourna en Angleterre, il avait une petite fortune en poche, plus de 600 livres Sterling.


Le 14 Août 44, le camp fut libéré par l’avance de l’armée Patton. Clifford Hallet rentra en Angleterre.
Il continua de voler mais fut affecté à la détection et sauvetage des aviateurs tombés en mer. Dès son retour, il put donner quelques nouvelles aux familles des autres disparus sans aucune certitude de leur sort, toutefois il leur assura que la résistance française était très active et qu’il y avait de grandes chances qu’ils soient encore cachés et en vie.
A cette même période, le 15 Août 44, le train à bestiaux quittait Paris emportant 2000 résistants, ses 2 coéquipiers et 165 autres aviateurs alliés vers le camp de concentration de Buchenwald. Stokes, le bombardier blessé dans sa chute, fut récupéré par les allemands, soigné à l’hôpital de l’hôtel Dieu à Paris puis transféré dans le camp pour prisonniers de guerre pour aviateurs de Sagan. Compte tenu de sa blessure, Il fut libéré avant la capitulation. Son épouse eut des nouvelles par la Croix Rouge dès le mois d’octobre.
Quant à Stanley Booker, Terrence Gould et John Osselton, leurs familles ne reçurent leurs premières lettres qu’en toute fin de l’année 1944, soit 7 mois après qu’ils eussent été considérés comme disparus. D’abord internés au « petit camp de Buchenwald, celui dont le grand ordonnateur était le sinistre docteur Hagen qui effectuait des expériences médicales sur des prisonniers vivants, ils échappèrent au four crématoire de justesse, la croix rouge ayant dénoncé leurs conditions de détention aux autorités de la Luftwaffe. Goering lui-même intervint pour les sortir de Buchenwald et les faire transférer au camp Sagan pour aviateurs prisonniers de guerre.

A l’approche des russes, ils furent déplacés dans un nouveau camp proche de Berlin. Ils marchèrent presque 2 semaines dans le froid, la neige et sans nourriture. Leur camp fut libéré par les russes en Mai 45 ceux-ci les remirent aux autorités britanniques et américaines après un chantage pour que les alliés leur remettent les prisonniers soviétiques ayant servi dans la Wehrmacht.
Stanley Booker rentra chez lui un soir tout simplement, son épouse Marjorie n’avait pas été prévenue de son arrivée.


Texte de Jean Pierre Curato

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