8 juillet 1944. Une formation de bombardiers est en vol pour atteindre différentes cibles allemandes à l’arrière du front de Normandie pour favoriser l’avancée des forces alliées qui se heurtent à une forte résistance allemande dans la région de CAEN et SAINT-LO.
Une des missions concerne DREUX , un petit village (sic !) selon James W FORE pilote superviseur dont le témoignage est décrit dans le livre : “Tragedy and Triumph, A Pilote’s Life Throught War and Peace”.
Ce bombardier sera atteint par les tirs de la FLAK allemande et subira les attaques des Me109 qui décollent de la base de St André de l’Eure où la chasse d’Hermann GOËRING surveille le ciel de la région avec cette unité d’élite appelée par les pilotes alliés les “Abbeville Kids”. Outre les Messerschmitt 109, il y a des Heinkel 210, des Junkers 88s, des Folke Wulf 190s qui attaquent la formation de bombardiers. Plusieurs appareils explosent en plein vol d’autres sont en flammes dont le B17 “Take itEasy” de James W FORE.
Les aviateurs vont s’éjecter et s’éparpiller sur le sol français où quelques uns seront récupérés par la Résistance de l’Eure et Loir.
Le fils de l’un de ces résistants a communiqué au CEDREL nombre d’informations permettant de reconstituer le parcours de l’équipage tombé, de cache en cache avant d’arriver entre les griffes d’un agent de la Gestapo infiltré dans les réseaux de sauvetage des aviateurs tombés.
Voici la reconstitution de ce parcours:
Durant les années d’occupation du territoire français par l’armée allemande, des centaines d’appareils alliés sont envoyés avec différentes missions (renseignement, convoyage d’envoyés de Londres et agents instructeurs, bombardements).
Ces missions comportent des risques élevés car elles s’affrontent à deux dangers principaux : la chasse allemande et la FLAK.
La Luftwaffe dirigée par Hermann Goëring affirme sa suprématie jusqu’en fin 43 et domine nettement les combats aériens jusqu’à l’entrée massive des forces aériennes US afin de préparer le débarquement.
Au sol, un réseau de canons de 88 dont la particularité est d’être utilisé à la fois comme artillerie au sol contre les tanks mais également pour atteindre les avions alliés, est déployé sur toute la France occupée.
Les crashes d’avions alliés sont très nombreux et se pose pour le commandement allié la question de la récupération des aviateurs tombés en parachute.
Il faut 6 mois pour former un aviateur qu’il soit pilote, navigateur ou mitrailleur à bord d’un appareil. Les avions seront remplacés beaucoup plus vite que les aviateurs après l’entrée massive des USA dans le conflit.
Résoudre cette question nécessite de mettre en place des réseaux de récupération d’aviateurs avec la participation de la résistance au sol.
Il faut d’abord bien identifier les chances de récupération après les crashes ne serait-ce que pour rassurer un peu les équipages. Des éléments comme des cartes géographiques sur tissu ou des bribes de langage font partie de l’équipement mais tout cela est très aléatoire car les appareils peuvent s’écraser n’importe où sur leur trajet et il n’est pas question de délivrer des listes de noms de résistants opérant dans les régions traversées.
De plus le SOE britannique et le BCRA gaulliste qui concentrent à Londres le renseignement émanant des pays occupés sont très frileux en regard des demandes de la Résistance quand ils ne doutent pas de l’existence même des groupes organisés.
Les parachutages d’armes qui se développaient sur la France occupée seront d’ailleurs interrompus ou fortement ralentis selon les régions à l’automne 43 pour ne reprendre massivement qu’après le 6 juin 44.
Les pertes en hommes et matériels avaient atteint des niveaux élevés dans ces missions où la faiblesse organisationnelle des groupes de résistants conduisait trop souvent les équipages à prendre d’énormes risques pour livrer des armes alors qu’au sol les équipes de réception étaient défaillantes.
Pour ce qui concerne les missions destinées au département ou simplement traversant l’Eure et Loir quelques réseaux sont mis en place soit très localement soit avec une organisation plus poussée. Le bricolage restera la caractéristique la plus partagée dans ces réseaux avec les risques non seulement liés aux dénonciations, mais aussi avec les tentatives-et parfois les réussites- de l’Infiltration d’agents allemands.
Les grands réseaux
Sans entrer dans le détail de chaque réseau on peut distinguer 3 sortes de réseaux de récupération d’aviateurs agissant sur l’Eure et Loir :
Tous ces réseaux, dont certains comme Comète, avaient atteint un degré d’organisation remarquable, seront démantelés par le Renseignement Allemand.
Pour ces réseaux il s’agit de structurer et de développer les multiples actes de solidarité et de soutien constatés à l’égard des aviateurs tombés par une partie de la population civile malgré les risques évidents de répression.
Avec des bases locales s’appuyant sur cette solidarité, des lieux de transit et d’accueil se mettent en place. Les groupes de résistants locaux, par leur connaissance du terrain sont à même de pouvoir cacher les aviateurs et surtout de les déplacer régulièrement en empruntant des lignes d’évasion comme la ligne Comète vers l’Espagne ou la Bretagne.
Mais cela relève beaucoup de l’incertitude pour les équipages selon l’endroit où ils sont tombés car ils ne trouvent pas toujours au sol les contacts nécessaires du fait de l’imprécision de l’information fournie au décollage ou, parfois, de l’arrestation et du démantèlement des structures résistantes.
Ainsi, une grande quantité d’aviateurs seront immédiatement arrêtés par les Allemands et transférés en camps d’internement notamment à Mauthausen ou Buchenwald.
Le contact qui s’établit, dès le sol atteint ou peu de temps après, reste assez rare. Les recherches entreprises pour récupérer ces hommes que l’on aperçoit de loin au bout de leur parachute déployé, prennent du temps et engage des risques car les Allemands sur leurs motos foncent vers les points de chute pour appréhender les soldats alliés.
Une fois le contact établi avec les hébergeurs une autre tâche attend les résistants : il faut imposer une discipline stricte à ces jeunes hommes sûrs de leur mission et qui n’ont ni l’expérience de la clandestinité, ni la connaissance de la situation d’infériorité des résistants engageant leurs vies pour les récupérer.
En cachant des soldats alliés, c’est toute la famille qui est menacée de répression et ceux qui prennent en charge cette mission doivent parfois sévir.
Impatients de retourner en Angleterre et assurés d’être pris en charge totalement par des civils, beaucoup d’aviateurs ont des comportements dangereux pour la sécurité de tous. Certains ne parlent qu’en anglais ou n’hésitent pas à sortir de leur cachette pour prendre l’air créant ainsi des risques énormes pour des hébergeurs très minoritaires dans une population civile majoritairement non encore acquise à la résistance.
La mission du « Take It easy » 8 juillet 1944
Ce B17G, N°42173 a pour pilote James W FORE qui en est à a 28 ème mission de bombardement au-dessus de la France occupée ou du territoire allemand. Il est nommé « pilote superviseur » qui consiste à apprendre aux nouveaux pilotes d’un équipage le combat aérien.
Voici son témoignage :
Ces équipages de retour se rendaient normalement dans des unités d’entraînement pour transmettre les leçons apprises sur les lignes ennemies aux nouveaux aviateurs qui n’avaient pas encore été testés au combat.
Après mûre réflexion, j’ai décidé de rester pour une autre tournée. On ne sait vraiment pas pourquoi je me suis porté volontaire pour une deuxième période de service. Après avoir vu le carnage dans le ciel à travers l’Europe, j’aurais dû être mieux avisé. Les chances de survie étaient faible au-delà une seule tournée. Survivre à deux tournées consécutives était presque impossible.
Même en connaissant les probabilités, j’ai ressenti qu’il était de mon devoir de continuer mon job contre les nazis. Ma raison me disait : “Rentre chez toi.” Ma sensibilité me disait: “Le combat n’est pas encore terminé.” Peut-être ai-je été influencé par l’ignorance qui pousse la jeunesse à se croire invincible et donc immortel. Quelle que soit la raison, je suis resté. En fin de compte, c’était une très mauvaise décision.
James W FORE repart donc au combat comme pilote et instructeur sur son B17.
Sa mission comme les précédentes est de soutenir l’avancée alliée sur CAEN et SAINT LO où les Anglais avec Montgomery sont en butte à une forte résistance allemande depuis le débarquement.
Cet équipage comprend 9 aviateurs y compris FORE :
L’équipage du « Take it easy » et leur appareil sur la base de Bassingboum
Le départ
Suite du témoignage de James W FORE :
Ce 8 juillet 1944 était un jour fatidique. Il marquait mon 28e combat au-dessus de l’Allemagne et de la France. La matinée avait été brumeuse à Bassingbourn. Je devais vérifier le premier lieutenant Donald Bridwell et son équipage. Pour cette mission, le lieutenant Bridwell Donald était mon copilote
Ils nous ont réveillés à 3 :00, comme d’habitude, pour notre petit déjeuner et notre briefing pour la mission du jour. Je me souviens avoir rampé hors de mon lit bien chaud et allumé mon radio-phonographe pour écouter « The Swallow ».
Au réfectoire, j’ai rencontré mon nouvel équipage et nous avons discuté de la mission à venir. C’était plutôt surprenant de constater à quel point la plupart des membres de l’équipage étaient jeunes. Je n’avais moi-même que 19 ans, mais la guerre vieillit rapidement un homme.
Le bombardier était le lieutenant Milton Gastwirth de New York. Après le petit déjeuner, il m’a confié un pressentiment qui l’accablait. Gastwirth a déclaré qu’il n’avait pas pu dormir la nuit précédente à cause d’un rêve d’être abattu du ciel et tué alors qu’il était dans son parachute. Je l’ai rassuré que nous avions tous le même type de pensées lorsque nous allions commencer à voler et que tout irait bien.
Nous sommes allés à la salle de briefing après le petit déjeuner. Lorsqu’ils ont dévoilé la mission, les lignes étaient courtes, s’étendant à travers la Manche et se terminaient à un point à l’ouest de Paris. La zone ciblée était proche d’un petit village nommé Dreux (sic !)
. Notre objectif était de toucher une zone à environ trente-cinq milles à l’ouest de Paris où les divisions Wehrmacht et Panzer concentraient leurs forces pour tenter de contenir les forces terrestres alliées.
Cela ressemblait à de la routine.
Après le briefing, nous sommes montés dans des jeeps et nous nous sommes dirigés vers notre avion. C’était un tout nouveau B-17G. C’était sa première mission de combat. Le brouillard était très dense avec une visibilité limitée à quelques centaines de pieds. C’était une sensation étrange d’entendre 24 B-17 mais de ne pas pouvoir les voir alors qu’ils roulaient pour le décollage. Chaque B-17 était propulsé par quatre moteurs Wright Cyclone capables de produire 1.200 chevaux au décollage, pour un total de 4.800 chevaux,
Il y avait 96 moteurs qui rugissaient. L’air était saturé par la fumée des gaz d’échappement et par l’odeur de d’huile chaude. À l’intérieur de l’avion, il y avait du liquide hydraulique parmi d’autres odeurs. Elles étaient coutumières sur chaque vol. C’était le genre de choses qui s’imprégnaient en nous, et que nous sentions jour et nuit. Nous avons roulé jusqu’à notre point de départ où nous recevrions notre feu vert pour le décollage. La visibilité était toujours très mauvaise, peut-être 150 à 200m. Alors que nous nous alignions sur l’axe de la piste, nous avons lentement actionné les gaz jusqu’à ce que les moteurs indiquent 48 pouces. de pression d’admission. Nous avons rapidement vérifié les températures et les pressions avant de relâcher les freins. C’était effrayant. Nous roulions sur la piste en transportant une charge maximale de carburant, de bombes et de munitions, et nous pouvions à peine voir. J’étais particulièrement anxieux, Tout le monde était incroyablement tendu.
Lorsque l’anémomètre a atteint environ 50 milles à l’heure (80km/h), j’ai poussé le manche vers l’avant et j’ai levé la queue. Avec la queue relevée, l’accélération a été immédiate. Toutes les jauges indiquaient toujours la normale. À une vitesse de 110 milles à l’heure (180 kms/h), j’ai repoussé le manche et nous avons décollé de la piste avec pilotage immédiat aux instruments.
Notre point de rendez-vous était au-dessus du Wash à 17 000 pieds (5000m). Nous sommes montés à 1 000 pieds (300m) et nous nous sommes tournés vers un cap magnétique de 285 degrés vers la balise ADF (Automatic Directional Finder) . Nous avons continué notre ascension, tout en pilotant aux instruments. Nous avons émergé finalement au-dessus du ciel couvert. à 8 000 pieds (2400m). Il faisait encore noir. Le ciel était magnifique avec des étoiles brillantes alors que, de partout, les avions se dirigeaient vers le point de rassemblement pour mise en formation.
Je n’ai jamais interrompu un vol de combat mais j’ai failli le faire ce matin-là à cause d’une prémonition de mon bombardier à cause d’un petit problème hydraulique. Le dysfonctionnement hydraulique n’était pas très grave. La pression montait un peu, c’est tout. Nous avions des systèmes de secours non seulement pour abaisser le train d’atterrissage mais aussi pour activer d’autres fonctions qui nécessitent de l’hydraulique. Si nous perdions tout l’hydraulique, alors nous aurions de gros problèmes. Comme c’était une courte mission, je pensais que nous reviendrions sans problème. Nous aurions pu faire demi-tour légalement sans crainte d’être réprimandés.
Cependant, quelque chose a dit, “Aw, tu n’es jamais…” J’ai décidé de continuer la mission. Dans la zone de rassemblement, il y eût l’habituelle confusion pour la mise en formation. Une fois en formation, alors que nous étions en train de traverser la Manche, nous avons continué la montée progressivement jusqu’à 23 000 pieds (7000m) alors que nous étions en train de traverser la Manche.
Coupe du B17 et ses postes de combat et d’évacuation.
En arrivant sur les côtes françaises, nous avons rencontré une légère flak (FlugAbwehrKanone) DCA avec éclatement de poudre noire. Nous avons supposé qu’il s’agissait de 88 et 105 ; rien d’extraordinaire. Nous avons mis le cap sur Dreux. Pendant un moment, tout a été relativement calme. Chaque avion a laissé un long flux de traînées s’étendant de derrière ses moteurs. Le temps était très agréable avec une visibilité illimitée. Au lever du soleil, la lumière du soleil se reflétait sur des centaines d’avions argentés. C’était un spectacle impressionnant.
Soudain, l’enfer s’est déchaîné ! Les Allemands ont attaqué notre formation avec une flak si précise que nous ne pouvions pas éviter l’explosion d’obus et d’éclats d’obus. Dans un autre groupe, juste notre gauche, un B-17 a soudainement explosé. C’était un des ces moments où tout peut arriver.
Pas de parachutes en vue .En une fraction de seconde, les dix hommes à bord sont passés de vie à trépas. Un autre B-17 en flammes s’est retiré de la formation. Nous avons pu voir cinq parachutes, puis l’avion est parti violemment vrille. Personne d’autre n’est sortie, encore cinq autres hommes présumés morts.
À ce moment-là, nous approchions de l’IP (Impact Point) juste avant d’activer le bombardement. Soudain, nous avons été attaqués par les pilotes de chasse de Goering, les plus expérimentés et les plus redoutés, les “Abbeville Kids”. Leurs caractéristiques, le nez jaune de leurs Me-109, FW -190s, Ju-88s et He-210 ont foncé sur notre formation. Ils nous ont donné les meilleures attaques que je n’ai jamais subies,
Je n’avais rien vu de tel lors de mes 27 précédentes missions, même au-dessus de Berlin, Hambourg ou en d’autres cibles difficiles. De mon expérience, rien de comparable avec ce qu’ils nous lançaient maintenant.
Les assaillants ont essaimé devant nous comme des abeilles en furie, Ils ont développé leurs attaques en fonçant droit sur nous. Ils ont soudainement roulé à l’envers et ils ont pulvérisé toute notre formation. Il était très difficile de prendre des mesures d’évitement. En même temps, ils nous ont frappés avec des flak très précis, stationnaires et de suivi, des éclats noirs et blanc Je ne voyais pas comment quelqu’un aurait pu survivre.
Nous activons notre bombardement. Notre bombardier (Robert W WARD) ouvre les portes de la soute pendant que le lieutenant BRIDWELLet moi travaillons pour maintenir notre avion aussi stable que possible tout en maintenant notre position en formation.
Le canon allemand de 88 permet le tir aérien et terrestre
Ecole de la FLAK de CHARTRES/CHAMPHOL
Nous avons suivi l’avion en tête de notre formation lors du dernier bombardement à une vitesse indiquée de 160 milles à l’heure (260km/h) et à une altitude de 23 000 pieds (7000m). Chaque bombardier surveillait quand la première bombe tombait de l’avion de tête. Pour une efficacité maximale, nous avions besoin d’un modèle de saturation très proche sur l’impact.
Nous étions du côté droit de la formation lorsque notre avion a soudainement tremblé. J’ai vérifié les instruments et je n’ai vu aucune indication de problème.
Tout semblait normal jusqu’à ce que je voie le co-pilote dans l’avion suivant faire des gestes et pointer frénétiquement mon aile gauche. Il y avait un énorme trou entre les moteurs numéro 1 et 2. Nous allions vers de sérieux ennuis.
Nous avions été durement touchés, et cela ne pouvait pas être à un pire endroit. Nos réservoirs de carburant étaient en feu avec des flammes partant de l’aile et se prolongeant presque jusqu’à la queue. Il faisait si chaud que les peaux des ailes fondaient. Une partie du métal était en train de brûler. Sans système d’extinction dans cette partie de l’avion, il était impossible d’éteindre le feu. Notre avion était perdu. Nous aussi, d’ailleurs, si nous ne sortions pas rapidement.
J’ai immédiatement lancé l’appel de sauvetage sur l’interphone et j’ai sonné l’alarme incendie. Le lieutenant BRIDWELL surveillait la fréquence radio du groupe et n’a pas entendu mon annonce. Je l’ai attiré vers pour qu’il puisse voir le feu. Il n’y avait pas une seconde à perdre Notre avion, encore lourdement chargé en carburant et en bombes, pouvait exploser à tout instant
.
Dès que nous avons vu le feu, nous nous sommes retirés de la formation. Nous ne voulions pas risquer d’endommager d’autres avions si notre avion explosait. J’ai réglé le pilote automatique pour maintenir l’avion stable et je suis sorti de mon siège Ensuite, j’ai attrapé mon parachute ventral et l’ai attaché à mon harnais, puis j’ai rampé jusqu’à la trappe d’évacuation d’urgence juste en dessous et derrière le cockpit. .
Quand la porte de l’écoutille de secours s’est ouverte, j’ai regardé en bas, le sol, c’était loin, très loin.
C’était mon premier saut en parachute. J’ai hésité un instant. Il était temps de partir, l’avion pouvait exploser à tout moment.
A ce moment-là, la majeure partie de l’équipage avait déjà quitté l’avion. Je ne pouvais rien faire d’autre pour les aider, alors j’ai sauté.
Quelque part au cours de notre formation d’aviateur, on nous avait fortement conseillé de ne pas ouvrir notre parachute à haute altitude. Ils nous avaient fournis deux bonnes raisons pour cela.
Tout d’abord, la rareté de l’air en altitude peut entraîner un dysfonctionnement à l’ouverture de notre parachute et le manque d’oxygène peut entraîner des difficultés.
Deuxièmement, rester trop longtemps c’était augmenter notre exposition aux tirs des ennemis. Notre avion était à plus de 20 000 pieds (6000m) d’altitude quand j’ai sauté.
C’était un long chemin jusqu’au sol. En tombant, j’ai réussi à m’allonger et à admirer ce qui se passait autour de moi. J’ai vu des B-17 attaqués par des chasseurs allemands, j’ai vu des parachutes qui se balançaient au loin. J’espérais que certains d’entre eux appartenaient à mon équipage.
Il n’y avait pas vraiment de sensation de chute.
Etant à plus de 4 miles (6400m) de haut, il m’est apparu que la terre montait lentement à ma rencontre plutôt que moi qui descendais vers elle. Tout semblait au ralenti, et j’éprouvais une sensation encore euphorique. J’ai appris à me stabiliser en changeant la position du corps.
Finalement, il me semblait temps d’ouvrir mon parachute. J’ai tiré le cordon de lancement sur mon sac de poitrine et un petit parachute pilote à ressort est sorti devant moi. Sa fonction consiste à extraire la voilure. Alors que mon parachute se déployait, j’ai attrapé par mégarde les suspentes. Lorsque la voilure s’est ouverte, les suspentes m’ont sévèrement coupé les mains. J’ai failli perdre mon petit doigt droit.
Évaluer l’altitude était difficile. J’ai ouvert mon parachute alors qu’il était encore assez haut. Suspendu sous ma voilure au-dessus de la France, je me suis retrouvé à la dérive près de notre zone cible de Dreux. À la recherche d’un monticule. J’ai vu un ciel rempli d’avions amis et ennemis. Heureusement, aucun d’entre eux ne m’a approché.
En m’approchant du sol, j’ai observé un fermier français entrain de labourer son champ derrière un attelage de chevaux. Il vaquait à ses occupations sans se soucier de la bataille qui faisait rage au-dessus de sa tête.
C’était mon premier saut en parachute. Je savais qu’il fallait fléchir les genoux à mi-hauteur avant de toucher le sol. Ma perspective a changé au cours des cent derniers mètres environ au-dessus du sol. Soudain, le sol sembla se précipiter vers moi. J’ai l’impression que mon corps s’est raidi.
J’ai heurté le sol si fort que j’ai eu l’impression que j’allais le traverser. Heureusement, j’ai atterri dans une zone fraîchement labourée où le sol était assez mou. Pourtant, mon dos, mon genou gauche et mes mains me faisaient tellement mal que j’ai vomi tout ce que j’avais pris au petit-déjeuner ce matin-là.
J’ai inspecté mon état. Bien que blessé, aucun de mes os n’avait été brisé. Alors que je rassemblais mon parachute, le fermier me fit signe de me mettre à l’abri. Il y avait un fossé et quelques arbres à ma gauche, j’ai sauté vers le fossé et j’ai enterré mon parachute sous des branches et des feuilles.
Plus tard, le fermier a récupéré mon parachute en tissu très prisé.
J’ai passé le reste de la matinée à essayer de rester hors de vue. Toujours hébété et souffrant, je comptais sur le fermier pour obtenir de l’aide.
En Angleterre, ils nous ont dit d’essayer de contacter la Résistance française et de les laisser gérer notre évasion. Le fermier est revenu vers midi avec de vieux vêtements et m’a fait signe de retirer mon uniforme. Il m’a ensuite emmené chez lui et a nettoyé mes blessures. Il a porté une attention particulière aux lacérations sur mes mains. Après avoir lavé mes plaies, il a versé sur mes mains un liquide qui brûlait gravement, aucun germe ne pouvant y survivre. Ensuite, il m’a enveloppé les mains avec des bandes de tissu blanc et propre. Malgré mon incapacité à comprendre le français, j’avais compris d’une manière ou d’une autre que cet homme m’aiderait.
L’équipage est au sol dans une région inconnue où on ne parle pas la même langue. Les aviateurs n’ont aucun contact de récupération. Une simple carte en tissu leur a été fournie pais elle ne détaille pas la région suffisamment.
Ils ne sont pas tous sains et saufs.
BOWEN atterrit dans un champ labouré où un jeune garçon lui indique une cachette dans un fourré.
FORE a repéré un fermier lors de sa descente en parachute. Il lui indiquera un fossé pour sa cachette provisoire et reviendra le chercher plus tard pour l’emmener chez lui et soigner ses blessures aux mains.
ZEISER touche le sol et est récupéré par René DOZEVILLE un résistant FFI qui va le prendre en charge.
SCHARF est également récupéré par le même résistant.
GASWIRTH est abattu par les Allemands probablement lors de sa descente.
PHELPS et SHERMAN sont faits prisonniers en touchant le sol.
BRIDWELL est sain et sauf et reste caché jusqu’à l’arrivée des Américains le 14 aout 1944.
WARD le navigateur sera récupéré par les résistants.
Les lieux de chutes et de récupération de l’équipage.
Retour sur la mission de cette escadrille.
Cette formation de 24 bombardiers B17 avait-elle pour mission un bombardement dans la zone d’Etaples (Nord) où se situait une base d’envol de V1 ou un autre objectif ? Pour BOWEN, il écrit dans ses mémoires qu’il s’agissait de bombarder « un aérodrome près de Versailles ». Le site des V1 de Carpiquet n’est pas non plus dans la zone de la mission.
Or il n’existe que l’aérodrome allemand de Saint André de l’Eure à l’ouest immédiat de Paris. Ce site est très protégé par la Flak et les chasseurs de Goëring.
Cet base aérienne est fortement camouflée y compris par l’installation de leurres représentant des avions et construits en bois pour détourner les bombardements alliés.
Lorsque la FLAK atteint l’aile gauche de l’appareil qui va s’écraser ensuite en flammes à COUDRES, l’équipage a le temps de sauter car l’appareil n’explose pas en vol. Mais la véritable aventure de ces hommes va commencer avec l’espoir d’une prise en charge au sol par des français.
Peu d’informations ont été fournies aux équipages sur la résistance française et européenne. Ils savent juste qu’il vaut mieux se crasher hors de l’Allemagne nazie car ils auront plus de chances de survie avec une aide hypothétique .
C’est donc véritablement un saut dans l’inconnu.
Et pourtant des réseaux existent malgré la traitrise des infiltrés à la solde de l’Occupant qui rémunère chaque prise d’un aviateur au profit du collaborateur ou de l’agent infiltré.
Voici le récit de la récupération de James Zeiser par René DOZEVILLE communiqué par Jean Claude, son fils :
« Ce matin-là, René DOZEVILLE travaillait dans un champ d’avoine à 10 m en bordure de la route près du petit bois où le parachutiste allait toucher le sol à 300 m de la fromagerie de Gratheuil , Les ouvriers de l’usine furent témoins comme lui de son point de chute .
La Commandanture étant à 2 kms, les Allemands ne tardèrent pas à sillonner les alentours. James ZEISER avait eu le temps de défaire son parachute, de le plier, puis de se diriger à quatre pattes vers le petit bois.
Fort heureusement, il pleuvait à verse et les Allemands trempés abandonnèrent leurs recherches.
René, Résistant F.F.I., depuis 1942, partira discrètement à sa recherche en soirée. Craignant une dénonciation, il attendra l’heure de la fermeture de l’usine pour se risquer à atteindre le petit bois avec un grand sac (« pouc » légèrement trouée) laissant apparaître de l’herbe masquant des vêtements de rechange pour le parachutiste.
But : simuler une récolte d’herbes pour les lapins, à cet effet, la « pouc » est alors trouée.
Il va le découvrir assis contre un arbre. Il avait perdu ses bottes et souffrait d’une blessure aux côtes occasionnée lors du saut hors de l’avion.
Il le ramènera à son domicile. Le parachute fera partie du voyage, planqué dans la « pouc » à la place des vêtements. Domicile des époux DOZEVILLE où il y restera caché pendant quelques jours ! Germaine, son épouse est enceinte de Jean-Claude qui naîtra à peine 2 mois après, à Dreux, au lieu-dit « Bas-buissons » très certainement au Sanatorium où l’armée américaine (5e division blindée de la 3e armée) avait pris place, quelques jours auparavant, à partir du 17 août.
A cette occasion, ils laisseront leur lit au blessé pour qu’il récupère.
Ensuite, il put repartir avec 2 autres aviateurs (vraisemblablement James W FORE et Bernard F Scharf) tombés dans les environs pour une destination inconnue mais leur promettant d’avoir un avion pour rejoindre l’Angleterre.
Fort probablement sur la photo ( le lieu: Marcilly/eure ou Muzy?):
Non loin de là, dans un cimetière, le lieutenant Milton GASWIRTH, affecté au poste de bombardier, n’aura pas cette chance, il sera abattu par les Allemands au cours de sa descente en parachute.
Après le départ de James ZEISER, le couple gardera précieusement le parachute et la boîte contenant les cartes géographiques en soie qui permettaient de rejoindre l’Espagne. »
Une partie de l’équipage se retrouve dans un périmètre autour d’Illiers l’Evêque réparti de la façon suivante :
Ces 4 hommes seront rejoints par le pilote superviseur ZEISER qui, ayant sauté de l’appareil le dernier, s’est retrouvé isolé de ses compagnons.
La zone d’atterrissage est fréquentée par des groupes de résistants de l’Eure et des liens existent depuis des mois entre ces groupes sans qu’il soit possible, à ce stade des informations du CEDREL, de préciser les organisations de la résistance en présence. Il y a une forte présence de Vengeance et de l’OCM dans la région. Mais c’est du côté de Libération Nord que l’on croise des résistants qui vont participer à la prise en charge de ces aviateurs.
Concernant René DOZEVILLE, on sait peu de choses sinon qu’il fût, à la Libération, membre du comité cantonal de libération de St André de l’Eure et que ses contacts étaient Jean MILCENT de St André de l’Eure et Pierre EGASSE de Lignerolles. Cependant aucun de ces trois noms ne figurent sur les listes de résistants élaborés après-guerre par les chercheurs et historiens (Archives du SHD, Maitron, Mémoires des hommes).
Il existait à Muzy une maison d’accueil tenue par Madame ORIAL qui habite le Verger. Elle était secondée par Madame Geneviève DENOS et récupèrerait quantités d’aviateurs qui lui sont apportés par des résistants de la région. Les noms de SHEARER, BOOKER, GOULD et OSSELTON font partie de la longue liste des aviateurs passés par le Verger de Muzy.
Madame ORIAL est en liaison avec le Docteur DAUPHIN de Nonancourt animateur d’une antenne du réseau HUNTER qui récupère ces aviateurs. Elle est aussi en liaison avec Francis DABLIN et son fils qui participe au groupe de résistance de DREUX en lien avec Libération Nord.
Le verger de Muzy est connu également de plusieurs maquis comme ceux de Crucey et Saulnières qui vont faire partie du circuit de récupération pour emmener ces aviateurs vers les destinations leur permettant de rejoindre la Grande Bretagne et continuer le combat.
Extrait de la fiche de Madame Orial ,rubrique résistants individuels, voir aussi la fiche DENOS Geneviève :
C’est le point de départ d’une filière de sauvetage à travers le département pour rejoindre soit Paris soit Chartres et au-delà le camp de Fréteval.
Un résistant nommé Moreau du groupe de Dreux fait la liaison régulière pour transporter les aviateurs alliés qui sont cachés dans la région en attente de transfert.
Geneviève DENOS, employée de Madame ORIAL participe à ces actions clandestines.
Mais le réseau est infiltré par le chef de Moreau qui ignore que ce Jean Jacques DESOUBRIE est un agent de la Gestapo lequel remet les “colis” aux Allemands contre rémunération.
En outre, cet agent à réussi à identifier plusieurs chefs de groupe et des maquisards lors de ces allées et venues à Muzy.
Ce sera par ces informations que la Gestapo pourra découvrir une grande partie de l’organisation de la résistance départementale d’Eure et Loir.
DESOUBRIE ou Pierre BOULAIN ou Jean MASSON ou JACQUES est un agent belge membre du parti rexiste lié aux nazis. Il est rémunéré pour chaque capture apportée à PARIS au siège de la Gestapo.
Ce sont donc 5 aviateurs de l’équipage du B17 Take it easy qui arrivent chez Madame ORIAL et qui sont pris en charge par Guy MOREAU sous la direction de l’agent infiltré DESOUBRIE.
Cet agent a construit un réseau de contacts avec d’authentiques résistants d’Eure et Loir, département que vont traverser les aviateurs récupérés. Il est secondé par Madame ORSINI une belle femme rousse de 38 ans que les anglo-saxons appelleront « la fille aux cheveux rouges ». (Voir la fiche de Raymond PICOURT)
Elle habite Chartres et elle est voisine du pharmacien PICOURT qui a monté également un réseau de récupération d’aviateurs qui sont convoyés soit vers Paris avec le couple ORSINI-DESOUBRIE ou vers Fréteval dans le grand bois de Bellande en Loir et Cher où près de 150 aviateurs sont camouflés en attendant les libérateurs anglo-saxons car, après le débarquement, il est très difficile de rejoindre les forces alliées par les circuits terrestres. De plus, les voies de chemin de fer sont soit bombardées soient détruites par la résistance et les trains sont devenus plus rares.
DESOUBRIE est un agent redoutable, il a participé largement au démantèlement et à l’arrestation des membres du réseau du Musée de l’Homme à Paris, de la ligne d’évasion Comète du belge André DE JONGH et de sa fille, et également du réseau Hunter animé en Eure et Loir et dans l’Eure par le docteur DAUPHIN de Nonancourt.
Le réseau PICOURT est largement infiltré et produit des dizaines d’aviateurs issus des récupérations par les maquis et groupes résistants des villages.
DESOUBRIE est au cœur de ce système et conduit régulièrement les victimes dans les bureaux de la Gestapo parisienne qui les déportent vers Buchenwald et Mauthausen.
Apparemment Madame ORSINI et Guy MOREAU igorent la double activité de DESOUBRIE, chacun se chargeant du convoyage des aviateurs sur une partie de leur parcours sans aller jusqu’aux bureaux de la Gestapo parisienne.
Mais lorsque la Libération de la région intervient aprè le 15 aout 44, DESOUBRIE jette le masque et fait arréter MOREAU par les Allemands devant ORSINI qui, entre temps est devenue la maitresse du traitre.
Sidérée elle proteste et veut partir mais elle reçoit de son amant une balle de revolver tirée dans l’abdomen qu’elle ira faire soigner discrètement à la Libération pour se faire oublier dans une clinique de Neuilly sur seine.
DESOUBRIE sera arrété le 10 mars 1947 à Augsbourg en Allemagne par les Américains, transféré en France et jugé. Condamné à mort il est exécuté le 20 décembre 1949 dans les fossés du fort de Montrouge en criant « Heil HITLER »
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Pour aller plus loin, Voir :
La Résistance en Eure et Loir auteur Albert HUDE Edition le Petit Pavé. 2015
Site Force Landing spécialisé dans les crashes et récupération d’aviateurs
Site ARMREL sur DESOUBRIE
Tragedy and triumph : a pilot’s life through war and peace by James W FORE. 1996