Comment meurt un réseau

   • LIEU : La Ferté Vidame
  • DATE DE L'INTERVENTION : 21 janvier 2023
   • PARTENAIRE(S) :

Cette conférence a été présentée à une cinquantaine de personnes réunies à l’occasion de la tenue de l’assemblée générale du CEDREL en janvier 2023.

Dans ce dossier, il s’agissait de révéler, grâce à de récents contacts avec un correspondant de l’Eure, la manière dont les Allemands ont réussi à infiltrer la résistance locale tout en privilégiant l’arrestation de centaines d’aviateurs alliés tombés et récupérés par des civils et éviter ainsi qu’ils soient rapatriés en Grande Bretagne pour continuer leurs missions de bombardements et de largages d’armes pour la résistance.

L’INFILTRATION DES AGENTS ALLEMANDS

    DANS LA RESISTANCE

Dossier Jacques DESOUBRIE

Alias Jean jacques,

Alias Pierre Bounain, Jean Masson

Agent belge du Sipo-Sd (gestapo)

Les débuts du traitre

Né le 22 octobre 1922 en Belgique dans une famille ouvrière, il a été très peu pris en charge par ses parents qui s’installent en France quand il atteint l’âge de 10 ans. Passé le certificat d’études et un diplôme de mécanique à 17 ans.

Errant dans Lille fin 1940, il est arrêté par les Allemands qui le sanctionnent pour avoir porté un signe distinctif gaulliste sur lui. Il est fouillé et on trouve sur lui une fausse carte d’identité qui lui vaut une mise au secret 5 jours durant où il est copieusement battu par les soldats.  

   

                                                                                                                                     

Résistant ou Collabo quel choix ?

Insigne gaulliste, fausse carte, tout dans le personnage peut le destiner à la résistance naissante.

C’est l’inverse qu’il choisit en dénonçant les auteurs des faux papiers du café Vauban de Lille où il a noué ses contacts. Plusieurs personnes sont arrêtées dont il n’aura plus de nouvelles.

Logiquement, les Allemands lui demandent de travailler pour eux mais il refuse.

Il échoue en banlieue de Paris, sans emploi, où il survit ainsi plusieurs mois.

En février 1941, il décroche un emploi de mécanicien au Fort d’Ivry transformé par la Wehrmacht en atelier de réparation de véhicules. C’est là qu’il rencontre un lieutenant allemand qui va le prendre en main et qui voit la possibilité d’un recrutement de ce jeune homme paumé. Les discussions s’approfondissent entre eux et Desoubrie découvre que l’idéologie nazie correspond à ces idées. Plusieurs fois sollicité par ce lieutenant, il accepte de se rendre à l’Abwehr , les services secrets militaires allemands.

Son choix est fait, ce sera la collaboration

Reçu par un capitaine dans un bureau de l’avenue de la Grande Armée à Paris il est affecté à un service d’enquête qui agit contre des militants gaullistes et communistes.

On le teste en lui confiant des missions de vérification d’adresses obtenues par les dénonciations qui pullulent à Paris et il s’en sort si bien qu’on lui attribue un salaire de 2500 francs, plus les frais, chaque mois.

Après 4 ou 5 missions il reçoit une fausse carte d’identité et un ausweis spécial à présenter lors des contrôles allemands.

On le dirige ensuite sur l’infiltration des équipes clandestines qui commencent à éditer des journaux sommaires, mais significatifs pour les Allemands d’un réveil patriotique qu’il faut tuer dans l’œuf.

Son salaire passe à 5400 francs mensuels soit plus de 5 fois le salaire moyen d’un ouvrier spécialisé.

Sa technique d’infiltration consiste à prendre contact avec des prisonniers de guerre évadés dont quelques-uns se retrouvent dans un café à Paris. Il se présente comme l’un d’eux et gagne progressivement leur confiance.

En aout 1941, il prend contact avec quelqu’un de très proche d’un groupe qui rédige et édite « la Vérité Française » un des premiers journaux clandestins parisiens.

Pénétrer la résistance naissante

D’étape en étape il parvient jusqu’au fondateur Jean de Launay qui, sans se méfier, lui confie le secrétariat du journal et la liste des membres avec leurs adresses. Le groupe aimé par De Launay est en lien avec le réseau du musée de l’Homme de Boris Vildé, réseau dont Desoubrie participe à la destruction.

En octobre, les bureaux de De Launay sont perquisitionnés, lui est arrêté comme 140 personnes de son réseau dont la plupart vont périr fusillés ou déportés.

L’activité de l’agent Desoubrie va se poursuivre avec un nouvel objectif : pénétrer les organisations naissantes de la résistance et les réseaux de récupération des aviateurs anglosaxons qui chutent après les coups portés contre leurs appareils par la terrible FLAK ou par les chasseurs de Göring.

Le contexte

La France est occupée dans sa partie Nord et Ouest jusqu’en novembre 1942, date à laquelle commence une occupation totale du territoire après le débarquement allié en Afrique du Nord.

La résistance au Sud bénéficie avant fin 42 de plusieurs conditions plus favorables qu’au Nord : présence de l’armée d’armistice et des déserteurs français de cette armée de Vichy, stocks d’armes de 1940 qui sont cachés aux yeux des Allemands, facilités de circulation meilleures malgré les contrôles des gendarmes français.

Fin 41, Desoubrie a réussi à étendre son activité dans l’Aisne sous le nom de Jacques Verger et à intégrer un groupe de résistants constitué à Compiègne. Le 3 mars 1942, il livre les noms aux Allemands qui opèrent un vaste coup de filet en arrêtant 17 résistants.

Sans relâche Desoubrie participe, aux côtés de Devillers, autre agent infiltré, à l’infiltration du groupe de Combat-Nord qu’Henri Frenay essaie d’implanter en zone occupée et qui aboutira à l’arrestation et à l’exécution de plusieurs dizaines de résistants.

Mais le 7 mai 1942, Desoubrie est arrêté par la police de Vichy lors d’un voyage en zone sud. Les services secrets de Vichy le font parler et il est interné au camp de Verney en aout 42. Les services allemands interviennent pour le libérer, ce qui est fait en novembre lors de l’invasion de la zone sud par la Wehrmacht.

Se présentant ensuite comme ancien résistant détenu par Vichy, il tente d’infiltrer d’autres réseaux : Turma-vengeance, Centurie, et l’OCM où il participe à l’arrestation de Grandclément.

Les services de sécurité allemands travaillent depuis des mois sur le repérage des activités clandestines en France occupée et cherchent à retourner des responsables de la résistance qu’ils sont parvenus à identifier.

Ainsi, Friedrich DHOSE, officier allemand responsable de la GFP 716 (contre-espionnage) à Bordeaux cherche à retourner André Grandclément un des hauts responsables de l’OCM, importante organisation de la résistance.

Alors qu’il réussit à rencontrer ce responsable dans un rendez-vous étrange, Dhose a un projet plus intelligent que l’arrestation immédiate. Il connaît les opinions de Grandclément.

 Il l’a fait arrêter le 19 septembre 1943 à Paris alors qu’il avait rendez-vous avec Marc O Neill, autre responsable de l’OCM agissant en région Centre et futur chef de la résistance régionale Centre. A ce titre, O Neill est donc le supérieur de Sinclair qui sera désigné Délégué Militaire Départemental pour l’Eure et Loir le 30 mars 1944.

Lors de ce rendez-vous, l’agent allemand Jean Jacques Desoubrie est caché là, dans un café, et surveille Grandclément. C’est lui qui prévient Dhose de la présence du résistant par téléphone et c’est l’arrestation. Le Sipo-SD (Gestapo) connaît donc O Neill et ses rapports avec Grandclément. Quant à Desoubrie les résistants le retrouveront à leurs dépens en Eure et Loir comme dans d’autres départements.

Destruction des réseaux récupérant des aviateurs

Desoubrie est donc chargé d’infiltrer les réseaux de récupération d’aviateurs tombés. Il teste son approche au printemps 1943 sous le nom de Jean Masson pour pénétrer un réseau de récupération d’aviateurs dans le Nord de la France région qu’il connait bien.

Puis il décide de s’attaquer au plus important : la ligne Comète.

Le réseau Comète fût mis en place par la résistance et animé par une femme, Andrée Dejongh, puis par son père, deux Belges entrés en résistance dès 1940. Comète est né en Juin 1941. Andrée DE JONGH s’attela alors à l’immense travail d’organiser une ligne d’évasion : pendant des mois, elle prit des contacts avec des résistants pour créer ce réseau, héberger les aviateurs, leur fournir des vêtements civils, des faux papiers. Elle recruta des guides basques, familier du passage des Pyrénées, organisa des relais, recruta des fermiers basques qui pouvaient cacher les pilotes en transit. Le réseau d’évasion est d’abord surnommé la “ligne DEDEE”

Andrée DE JONGH responsable du réseau Comète Photo Forced Landing

 La filière consistait à faire transiter les aviateurs par Nantes ou Limoges pour rejoindre le Pays Basque et la Bidassoa où la frontière espagnole était franchie. Si les aviateurs alliés n’étaient pas repérés par la Guardia Civile ils rejoignaient Gibraltar au sud ou le Portugal proche avant d’embarquer pour l’Angleterre.

Plusieurs aviateurs touchés en Eure et Loir utiliseront cette filière par des contacts avec les maquisards locaux. Après des mois de fonctionnement et des dizaines de rapatriés, la filière sera infiltrée et démantelée avec l’arrestation de sa créatrice. Andrée Dejongh est capturée le 15 janvier 1943. Le réseau de 3000 membres avait été infiltré par Jean Jacques Desoubrie.

Témoignage de Jean Pierre Mallet militant actif de Comète :

 “La première fois que nous l’avons rencontré, il se présenta et nous le reçûmes à notre bureau néanmoins avec la plus grande circonspection. Il nous parla longuement avec une conviction communicative, dévoilant des détails exacts tant sur le nom et les fonctions de plusieurs membres de la ligne que sur les activités que nous poursuivions pour la même cause. Il développa longuement ses services “réels” qu’il avait déjà rendus en convoyant des aviateurs, citant sans erreur le nom de nos divers contacts et déclarant qu’il savait que nous financions ces activités. Il conclut en faisant état de son désir de participer à la lutte à nos côtés en continuant à convoyer les aviateurs. Cependant, soucieux de contrôler ses déclarations, nous en avons longuement parlé avec Georges d’Oultremont et avec Jean DE BLOMMAERT, que nous hébergions alors dans une chambre de bonne de notre appartement 4, avenue Emile Pouvillon à Paris 7ème. Après contrôle et recoupement, il fut prouvé que l’homme disait vrai et nous avons alors décidé de le financer. Mais très vite, nous acquîmes la conviction que ce personnage jouait double jeu. Les arrestations se multipliaient. Il arguait trop souvent de ses difficultés financières, tandis que nous recevions de plus en plus fréquemment des appels téléphoniques suspects. Un jour, l’un des nôtres qui allait chercher des “colis” vit le nommé “BOULAIN” en compagnie d’un personnage connu sous le nom de “l’homme au doigt coupé”, un certain Prosper DESITTER identifié comme étant au service de la Gestapo. Ce fait emporta notre décision de rompre toutes relations avec BOULAIN et de le mettre hors d’état de nuire” (lire BOUNAIN)

Il y aura 700 arrestations dont 288 aviateurs. Andrée Dejongh sera déportée à Ravensbrück puis Mauthausen et libérée le 22 avril 1945.Toutefois, le réseau Comète réussira à se maintenir d’abord avec son père Frédéric Dejongh (Paul) lui aussi arrêté le 7 juin 1943, puis fusillé au Mont Valérien le 29 mars 1944. Ensuite, le colonel Dauphin (DUC) continuera le réseau et il sera demandeur de l’accès au camp de Fréteval pour ses aviateurs lors d’une rencontre avec Poitevin (Bichat) et Gagnon (Legrand) à Chartres le 9 avril 1944.

 Autre réseau cible pour Desoubrie, le réseau Hunter qui a été créé fin 1942 pour agir dans le domaine du renseignement. Rapidement, il est confronté à la récupération des aviateurs tombés dans la région de Nonancourt.

Hunter-nord a pour rayon d’action l’axe Dreux-Tillières sur Avre et de l’Avre à Thomer la Sogne. Il est en lien avec les groupes de résistance, les convoyages se font par train vers Paris avec accompagnateurs.

Les Allemands ont considérablement renforcé la défense anti aérienne (FLAK) autour de Dreux pour protéger les aérodromes de Maison Blanche et de St André de l’Eure. Des leurres sont mis en place avec des avions en bois et en toile pour détourner les bombardiers alliés qui dominent le ciel depuis l’année 1944.

Cette stratégie est payante avec nombre d’avions alliés abattus et leurs cortèges de tués et d’aviateurs obligés de sauter en parachute. Ainsi, la récupération des aviateurs abattus devient la principale préoccupation des Alliés car leur remplacement nécessite des mois de formation en Angleterre.

 Tir de la Flak avec un canon de 88

C’est aussi une priorité pour les Allemands de récupérer ces aviateurs pour les neutraliser en les internant dans les camps. D’où une double stratégie mise en place par les forces ennemies pour sauver ou capturer ces aviateurs.

Dès qu’un avion est aperçu en perdition et que des parachutes se déploient dans le ciel, les résistants tentent de s’approcher le plus possible pour aider ces hommes qui vont atterrir dans un pays inconnu dont ils ne parlent pas la langue et n’ont aucun contact sur place. Les Allemands aussi envoient des patrouilles pour les capturer et c’est à qui arrivera le premier. Beaucoup sont blessés dans leur chute et sont parfois intransportables.

Le réseau Hunter sera ciblé par la Gestapo et la branche Nord autour de Nonancourt comptera nombre d’arrestations. Des dizaines de lieux d’accueil ont été mis en place le long d’un parcours qui allait au début jusqu’à la frontière espagnole.

A partir d’avril 1944, le voyage des aviateurs pris en charge par la résistance passe désormais par le maquis de Crucey à pied avec huit à dix aviateurs à chaque passage. Quelques maquisards armés protègent ces convois à distance. Ce sont environ 50 aviateurs qui seront ainsi récupérés par Hunter-Nord de Nonancourt. Beaucoup sont hébergés chez des habitants sympathisants de la résistance.

(Voir fiche sur récupération des aviateurs-lieux symboliques-Nonancourt).

Description de DESOUBRI : âge à l’époque 28 ans, très souvent vêtu de gris, cheveux brun clair auburn. Il avait une petite touffe de cheveux bouclés sur la tête et les cheveux courts. Taille : environ 6 pieds peut-être un peu moins. Yeux bleus, vert clair, mince et nerveux, teint pâle, petite tête ronde sur un long cou mince, il parlait avec un accent Belge. 

 Jean Jacques DESOUBRIE

Selon B.Guinguier c’est un électricien habitant la frontière franco-belge près de Tourcoing qui a permis aux Allemands le démantèlement du réseau « Comète » en avril 1943, l’arrestation de 150 aviateurs alliés ; il serait responsable de 1500 arrestations depuis le début de l’occupation. Démasqué en juin 1943, un groupe chargé de faire disparaître les traîtres devait s’occuper de son sort mais après un silence prolongé jusqu’en janvier 1944, il refit surface et il continua à sévir dans les réseaux Picourt et Hunter, dans l’Eure ainsi que l’Eure et Loir.

Ce Jean Jacques s’appelle aussi Pierre Bounain ou Jean Masson selon les circonstances et connaît très bien certaines structures clandestines de la résistance. Ce belge de 22 ans en 1944 a été envoyé à Dreux par le boucher de Saint Piat, Raymond Vauvilliers, authentique résistant qui y perdra la vie. Il est accompagné de Guy Moreau faisant fonction d’agent de liaison qui est, lui aussi, un résistant reconnu, membre du groupe July à Dreux.

Comment cet agent efficace se retrouve-t-il au cœur des groupes de résistance d’Eure et Loir ?

L’infiltration

Pour comprendre cette opération allemande d’infiltration il faut partir de Chartres et des missions de Raymond Picourt, pharmacien installé rue de la Gare et agent de renseignement immatriculé à Londres.

 Picourt est en rapport avec notamment Jules Divers chef de l’important groupe de résistants des Chaises à Clévilliers. Il connait aussi le couple de bouchers M.Mme Vauvilliers à St Piat qui dépendent des Chaises et sont des combattants très actifs dans la résistance.

Alors que les consignes de Londres sont claires : respecter le cloisonnement strict des activités par souci de sécurité et refuser d’autres missions que celles pour lesquelles un résistant est habilité, R.Picourt répond à des  demandes de Vauvilliers pour la prise en charge des aviateurs tombés qui sont de plus en plus nombreux. Le boucher de Saint Piat est de plus en plus sollicité par ses contacts résistants du nord de l’Eure et Loir pour évacuer pilotes, radios et mitrailleurs des bombardiers abattus.

Picourt est un agent secret de De Gaulle (matricule N° SRNX/1281), lieutenant de réserve du service de santé, né le 22 octobre 1900 au Tréport. Il a été démobilisé en août 1940. Raymond Picourt a la possibilité de passer des messages à Londres et dans l’un d’eux, il demandera d’éviter de bombarder le quartier de la gare de Chartres où il exerce ses activités. Malgré cela, le gros bombardement du 30 juin 44 détruira une partie de ses locaux où il continuera ses missions.

  Raymond Picourt pharmacien de Chartres

Malgré les consignes de Londres, Raymond Picourt acceptera de loger plusieurs aviateurs chez lui à Chartres alors que 2 officiers allemands habitent au-dessus et que l’hôtel voisin de la rue Jehan de Beauce est occupé par la troupe.

Cependant il sera vite débordé et il aura recours aux services de sa voisine madame Trenoy. Raymond Picourt est un ami de Mme Trenoy, femme âgée qui a une fille : Mme Colette Orsini. Raymond Trenoy était titulaire avant-guerre de l’exploitation du Buffet de la gare de Chartres, établissement qui, logiquement, est transféré à sa fille et à son gendre F.Orsini.

Colette Orsini est mariée à un corse en poste à la gare de Chartres, lieu stratégique pour les renseignements et l’observation des passages de soldats.

C’est une belle femme de 38 ans aux cheveux roux que les aviateurs anglo-saxons appelleront « la fille aux cheveux rouges ».

Le 16 août 1943, Picourt cache chez lui des aviateurs : le sergent Timothee Hay et le lieutenant Léonard Fink abattu le 26 juin 1943.

Il ne se méfie pas et dévoile ses activités clandestines à Mme Trenoy et à sa fille, laquelle connaît Charles Porte, le commissaire de police chartrain qui fût proche de Jean Moulin, et qui est actif dans la résistance. Porte a pris la clandestinité après la menace de son arrestation dévoilée par Le Baube, Préfet collaborateur de Chartres. Cela ne lui empêche pas de revenir à Chartres prendre en charge Hay et l’emmener à Paris. Quant à Colette Orsini, elle se charge de Fink et prend le train pour Paris. Ils regagneront l’Angleterre en passant par l’Espagne et Gibraltar.

Le 7 janvier 1944, nouveau crash près d’Orgères en Beauce et 6 aviateurs sont à secourir mais Porte a été arrêté à Paris et Colette Orsini est introuvable. R. Picourt se charge donc seul de les convoyer vers Paris et les remet à la filière précédente avec comme destination Gibraltar. Ils ne passeront pas les Pyrénées et plusieurs périront en montagne, les autres étant capturés.

En février, ce sont deux aviateurs en provenance de Belgique qui arrivent chez Picourt et sont cachés dans l’appartement tout un mois.

En avril, nouvel arrivage de 3 aviateurs répartis dans des planques autour de Chartres mais l’un d’eux, impatient, décida de partir seul à vélo pour rejoindre l’Espagne !

En mai 1944 c’est Raymond Vauvilliers qui vint solliciter la filière de Picourt pour évacuer James E. Fields, aviateur tombé le 27 mars 44 à Ecrosnes et caché depuis un mois par le boucher.

  Monsieur et Madame Vauvilliers, Bouchers de St Piat

Déclaration de Raymond Picourt, révélée après-guerre par William son fils adoptif :

« Mme Trénoy était morte et sa fille Mme Orsini habite à Chartres avec son mari, gardant l’hôtel Buffet. Je suis allé voir Mme Orsini et lui demande de m’aider (j’avais gardé 15 jours à Chartres 3 aviateurs alliés, je les emmène chez M. Leclerc à Orléans, la maison ayant été bombardée, j’étais sans contact), mais elle n’avait plus d’intermédiaire, M.  PORTE avait été arrêté. Je suis allé à Paris avec elle, nous sommes allés dans une famille d’enseignants, spécialisés dans la prise en charge des Polonais et des Lorrains-Alsaciens qui avaient désertés l’armée allemande, ils les faisaient traverser la frontière pyrénéenne. Par ces gens, Mme Orsini fit la connaissance d’un ingénieur nommé Henri qui travaille dans un bureau de la rue de Madrid à Paris.

Il mit Mme Orsini en contact à un certain Jean-Jacques qui parle avec un accent belge. Quand je reçois des aviateurs, il vient de Paris avec sa voiture. Au cours de ce dernier mois nous avons rassemblés beaucoup d’aviateurs, Mme Orsini et Jean-Jacques sont retournés à Paris avec les garçons. Je fais tout à fait confiance à Jean-Jacques et lui fait connaître mes collaborateurs : M. Vauvilliers, boucher à St Piat, Mlle Foreau mon employée, Mr Lecureur, meunier à Orgères, et son équipe. Depuis le début du mois de juillet, Mme Orsini est toujours avec cet homme, je pense qu’elle est tombée amoureuse de lui. Elle a déserté sa maison à Chartres pour Paris au 7 rue Batignolles laissant son mari seul à Chartres pour veiller sur l’Hôtel Buffet. Mr Orsini très en colère soupçonne une liaison avec Jean-Jacques, il menace de la tuer avec un couteau de cuisine, quelques semaines après j’ai vu Mme Orsini avec un magnifique bracelet en or imitant la chenille d’un char »

Ce couple d’enseignants parisiens est membre de la ligne d’évasion Comète qui a été infiltrée par la Gestapo dont Jean Jacques Desoubrie est l’agent le plus efficace. Le nommé Henri a été arrêté rue de Madrid à Paris avec Soguet le 20 mai 1944. Dans le carnet d’Henri, la Gestapo trouve le nom d’Orsini et va mettre en place le piège. Henri est relâché sous la condition de travailler pour la Gestapo et la rencontre avec Colette Orsini est propice pour lui présenter Jean Jacques Desoubrie qui infiltre ainsi le réseau Picourt.

Desoubrie est présenté à Picourt par Orsini et le collectage des aviateurs tombés débute dès le lendemain avec la remise de Lee Johnson et James Laing entre les mains de l’agent allemand.

La filière d’exfiltration s’organise avec des voyages réguliers du couple Jean Jacques-Orsini entre Chartres et Paris pour les aviateurs récupérés par Picourt. Ce dernier veut simplifier les contacts et les déplacements et il prend la lourde décision de présenter Desoubrie à ses collaborateurs : Melle Foreau, le fermier Lécureur à Orgères, et surtout le couple Vauvilliers de St Piat. Ainsi, les aviateurs récupérés par Vauvilliers ne transiteront plus par Chartres et seront remis directement à Desoubrie.

Entre juin et juillet 44, ce sont plus de 50 aviateurs qui sont passés par cette filière du « réseau Picourt ».

Cependant, l’objectif principal des Allemands, s’il est bien atteint avec ces dizaines d’arrestations favorisées par la trahison et le rôle de Desoubrie, n’est pas le seul. Trouver d’autres réseaux de récupération et tenter de les infiltrer également figure à l’agenda du traitre. Aussi, il va solliciter Vauvilliers pour obtenir ses contacts personnels afin d’alléger leur travail commun qui nécessite beaucoup de contacts et de temps alors que le nombre d’aviateurs tombés augmente considérablement.

C’est ainsi que Desoubrie est présenté à Guy Moreau, instituteur d’Illiers l’Evèque, membre du groupe de résistants de Dreux sous la direction de Pierre July et chargé de récupérer des aviateurs dans les premières planques obtenues de suite après les crashes.

 Geneviève Desnos au Verger de Muzy

 Madame Orial, secondée par Geneviève Desnos constitue une plaque tournante de cette filière primaire Ces aviateurs proviennent surtout des récupérations effectuées dans l’Eure voisine où de nombreux appareils sont abattus par la Flak. Le réseau de Nonancourt fonctionne à plein autour de Madame Orial qui habite une ferme au Verger commune de Muzy (voir sa fiche : Résistante individuelle) et qui pose en photographie avec Stanley Booker pilote du MZ 530 (voir note : lieux symboliques -récupération des aviateurs).   

        Madame Orial et S.Booker

 Moreau va présenter Desoubrie à Pierre July, l’un des chefs de la résistance départementale. Pour le traître, la perspective d’atteindre d’autres chefs se dessine favorablement.

De nombreux aviateurs anglo-saxons sont passés par Muzy avant d’être déplacés vers d’autres cachettes en utilisant l’impressionnant réseau de Hunter-Nord autour de Nonancourt (voir fiche lieux symboliques-récupération des aviateurs).

Désormais Guy Moreau devient le chauffeur qui récupère régulièrement les aviateurs du Sud de l’Eure et qui les remets à Desoubrie pour être conduits à la Villa d’Auteuil à Paris. Il ignore qu’ensuite, Desoubrie et ses agents les transfèrent Rue des Saussaies à la Gestapo avant d’être déportés à Buchenwald ou Mauthausen.

Interrogé après la libération de l’Eure et Loir, Guy Moreau révèlera son parcours aux officiers enquêteurs français :

[Le 6 juin 44 au matin, j’étais à Paris que j’ai quitté l’après-midi pour Orgerus où je couchais. Le lendemain 7 juin j’étais à Dreux que j’ai rejoint à pied. Je suis reparti à Orgerus deux jours après pour chercher une mallette chez le pharmacien où j’ai appris qu’à Montfort [l’Amaury ?] il y avait des parachutistes américains logés chez une dame depuis un certain temps et qu’il fallait déplacer dans un lieu plus sûr.

Je me suis découvert et j’ai pris sur moi de les conduire à Dreux où l’organisation arriverait à les cacher ou les rapatrier. Le parcours s’effectua à bicyclette sans histoire. 2 autres américains étaient blessés et brulés et ne pouvaient être transportés.]

Ces aviateurs sont remis par Moreau à Madame Orial à Muzy où ils retrouvent d’autres américains : John Osselton et Stanley Booker du MZ 530, abattu dans la nuit du 2 au 3 juin 44. Ils resteront à Muzy jusqu’au 23 juin où une voiture viendra les récupérer. Il s’agit de la traction 11 aux roues jaunes qui est conduite par Desoubrie et qui les dirige vers la Gestapo à Paris.

[Au début de juillet, je fus envoyé un samedi après-midi chez le boucher de St Piat, Mr Vauvilliers, qui recevait assez souvent la visite d’individus chargés de rapatrier par autos et avions, les parachutistes en Angleterre. Je suis rentré le soir à 11 heures à Dreux. Chez moi, j’ai appris qu’une Citroën noire 15 CV était venue pour me voir. Je l’ai su par la suite, l’auto était passée chez Vauvilliers qui les avaient prévenus tout de suite et ils étaient arrivés aussitôt à Dreux. L’auto comprenait 4 occupants.

Le lendemain vers 7 heures arrive chez moi un individu accompagné de Madame Bergeron chez qui était passée en ville hier soir. L’individu parlait avec un accent belge très prononcé.

Je le conduisis à l’endroit « Les vieilles ventes », un petit village situé dans l’Eure. On prit 4 parachutistes, tous américains, parmi eux il y avait un mulâtre. L’auto repassa par Dreux et prit ensuite la direction de Paris.]

L’instituteur Moreau indique dans ce témoignage que Madame Bergeron, l’épouse d’un adjoint de Pierre July (et qui fera sauter le viaduc de Cherisy le 18 juillet 44 avec Farjon et Dablin), est connue, ainsi que son domicile, de Desoubrie qui a obtenu ce renseignement de Vauvilliers.

 Francis Dablin (Mathurin)

Début juillet 1944, Desoubrie connait donc la direction du groupe de résistance de Dreux : July, Vauvilliers, Bergeron, Moreau, Orial et pourrait réaliser un coup de filet mais l’objectif prioritaire pour les Allemands n’est pas celui-là. Au contraire, il faut laisser fonctionner ces filières pour récupérer en quantité les aviateurs tombés et désormais regroupés par les filières Picourt et Hunter-Nord pour les remettre directement entre les services de la Gestapo. Habillés en civil par les résistants, disposant parfois de faux papiers, ils ne seront pas transférés en stalags ou oflags mais en camps de déportation comme les résistants français. Göring décidera d’ailleurs de les faire transférer au camp de Sagan Luft III par décision corporatiste de limiter les contraintes carcérales à des aviateurs servant dans la même arme que lui-même. Beaucoup d’autres périront dans les camps de Buchenwald ou Mauthausen.

Dans ces trajets de récupération, Desoubrie est accompagné de Colette Orsini qui a quitté sa maison de Chartres et son mari pour son appartement de Paris 17 ème, au 7 rue des Batignolles. Elle s’est mise en ménage avec Desoubrie et partage sa vie en méconnaissant totalement ses activités d’agent allemand infiltré.

Moreau poursuit : [Jean Jacques venait à Dreux à un endroit convenu, m’y trouvait l’attendant, puis nous allions chercher les parachutistes que j’avais rassemblé à divers endroits.] Il signale aussi que dans la région de Châteauneuf en Thimerais une rafle avait détruit une autre organisation de rapatriement des aviateurs anglo-saxons sans plus de précision. Cette information aurait été recueillie lors d’un parachutage en juillet 44, probablement celui du 20 juillet sur le terrain de La Pommeraie (commune de la Saucelle).

Moreau indique que [« vers le milieu de juillet une impression fugitive m’a traversé l’esprit à la suite d’une réflexion de July qui me rapportait une conversation qu’il avait eu avec Sinclair (le chef départemental). Ce dernier avait dit à July : « Etes-vous bien sûr que tous les parachutistes arrivent en Angleterre ? ». J’ai réfléchi et l’esprit troublé me suis demandé comment Jean Jacques obtenait encore les autorisations de circuler et de l’essence. »].

Moreau ne va pas plus loin dans son interrogation et considère que le marché noir pourrait bien subvenir aux besoins de Jean Jacques à qui il ne posera aucune question sur le sujet. Il décide toutefois d’aller, pour la première fois, à Paris pour voir un ami de son père qui aurait pu le renseigner sur les agents de contre-espionnage et leurs pratiques. Il prévient Jean Jacques de son déplacement en lui cachant l’objet de sa démarche, prétextant des contacts pour des questions de nourriture et de vêtements à récupérer. Moreau s’interroge donc mais ses activités prennent de plus d’ampleur et ne lui laisse pas le temps d’approfondir sa réflexion.

Les évènements s’accélèrent dans le nord de l’Eure et Loir et, bien que les activités de Desoubrie-Moreau-Orsini soient indépendantes des actions de la résistance sur le terrain, le commandement allemand décide d’agir fermement après la destruction le 18 juillet 44 du viaduc de Cherisy par les résistants drouais dont Pierre July.

Questions :

  1. Desoubrie participe-t-il à cette opération de nettoyage au détriment de sa mission principale ?
  2. Les Allemands ont-ils décidé de détruire la résistance après Cherisy en utilisant toutes les informations recueillies depuis des mois sur son activité ?

Toujours est-il que les masques vont tomber dans son équipe de récupération d’aviateurs.

Guy Moreau relate ce changement radical de Desoubrie de même qu’une voisine parisienne de l’appartement de Colette Orsini qui a été témoin des faits ayant conduit Desoubrie à jeter le masque.

Moreau raconte qu’il a fait un dernier voyage avec Orsini du côté de L’Aigle (Orne) pour récupérer un nommé Bedford aviateur américain de 22 ans le 21 juillet 1944.

[Nous sommes arrivés à 10 heures du soir rue des Batignolles et nous avons montés 4 étages et sommes entrés dans un appartement que j’appris être celui de Madame Orsini, moi, le lieutenant et Madame Orsini. Jean Jacques était parti faire une course. Nous dinons, une heure se passe, puis un coup de téléphone, Mme Orsini répond. Au bout d’un moment, la sonnette de la porte retentit et Madame Orsini est allé ouvrir. J’entends des murmures puis aussitôt j’entends crier « police allemande » puis « German police ». Deux individus à chapeau mous et en civils brandissent chacun un revolver à barillet.]

Guy Moreau raconte encore qu’il reconnait l’un des deux hommes car il faisait partie de l’équipage qui ramenait l’aviateur américain de L’Aigle. Il croit à une « bonne blague » mais Jean Jacques arrive dans la pièce et lui donne une forte claque dans le dos, le forçant à lever les bras. Il est menotté avec le lieutenant américain quand Madame Orsini apparait à son tour en peignoir, visiblement émue et gênée « ne parlant pas, ne me regardant pas ».

Conduits à la Gestapo rue des Saussaies, les deux prisonniers subissent des interrogatoires puis Moreau et Jean Jacques prennent la route de Chartres. Moreau est emprisonné rue des Lisses le 22 juillet 1944.

A Paris, un des gardes est resté avec Madame Orsini chez elle.

Selon le témoignage de Madame X, voisine et proche de Colette Orsini -elle connait aussi Monsieur Orsini- l’instituteur Moreau se serait vanté antérieurement auprès de Desoubrie d’avoir fait sauter « le pont de Cherisy et des camions chargés de soldats allemands ». Toujours selon ce témoignage daté du 2 septembre 1944, c’est-à-dire quelques jours seulement après les faits rapportés, Desoubrie avait refusé d’emmener Moreau en voiture à Paris et avait disparu quelques jours. De retour avec Colette Orsini, ils allèrent chercher l’aviateur repéré par Moreau et tous se retrouvèrent, non pas à la Villa d’Auteuil mais chez Madame Orsini à qui Desoubrie demanda de préparer un repas pour diner avant de s’absenter de nouveau.

Madame X : « Ils en étaient au fromage quand ils entendirent que l’on frappait à la porte, c’était Jean Jacques qui revenait mais il n’était pas seul, deux messieurs l’accompagnaient : il pria Madame Orsini de se retirer dans sa chambre en disant « Marie Antoinette retirez-vous ! ». Madame Orsini protesta disant qu’elle n’admettait pas qu’on lui parle sur ce ton. Il la prit brutalement par le bras et la força à entrer dans sa chambre. »

Colette Orsini écoute derrière la porte et entend : Hauts les mains police allemande.

Puis Moreau s’écrie : mais c’est une plaisanterie.

Desoubrie répond : vous avez pris la Gestapo pour des cons

Madame X ajoute : « Monsieur Moreau se trouva presque mal et Jean Jacques lui dit : quand on fait sauter des ponts et des camions, on ne se trouve pas mal. Il arrêta Moreau et l’aviateur et fit subir un interrogatoire à Moreau »

« Moreau a avoué et donna le nom de ses chefs. »

« Moreau s’inquiéta du sort de madame Orsini en disant qu’allez-vous faire de cette dame. Jean Jacques lui répondit : cette dame ça fait deux mois que nous nous sommes joués d’elle comme nous nous sommes joués de vous et elle va être arrêtée comme vous. »

La témoin continue avec des détails qui supposent qu’elle écoute à l’extérieur du logement ce qui s’y dit. Après avoir conduit Moreau et l’aviateur rue des Saussaies et laisser Colette Orsini sous la garde d’un inspecteur, Desoubrie revient à l’appartement de la rue des Batignolles et « il commanda à Madame Orsini de prendre un peu de linge et il [va] téléphoner. Profitant de cet instant, Madame Orsini a voulu s’enfuir soit en montant chez moi soit descendre dans la rue. A ce moment Jean Jacques a tiré un coup de révolver sur Madame Orsini, il l’a ramassée, mise sur le lit, téléphoné pour avoir un docteur allemand qui la jugea intransportable : c’est une question de quelques heures disait-il.

Le lendemain, je descendis chez Madame Orsini c’est Jean Jacques qui vint m’ouvrir, il m’a dit que Madame Orsini était très malade, le docteur recommandait un repos absolu et qu’il ne fallait pas la déranger. »

Desoubrie donne des nouvelles à cette voisine à plusieurs reprises et indique qu’elle avait été transférée dans un hôpital allemand de Garches, rue Henri Poincaré près de la gare.

Madame X reçoit le 12 aout une lettre de Colette Orsini qui lui demande de venir la voir rapidement.

« Je me suis rendu à l’hôpital où j’ai trouvé Madame Orsini méconnaissable. Elle m’a tout raconté me demandant de la sortir de là. Elle ajouta que Jean Jacques avait proposé à son mari Monsieur Orsini de l’emmener en camion à la Roche Posay pour suivre son traitement. Au lieu de cela, il le fit arrêter et transporter à Fresnes. Je reçus moi-même une lettre de Fresnes, je reconnus l’écriture de Monsieur Orsini et intriguée, je la remis à Jean Jacques pour qu’il la remette à Madame Orsini. Je reçus quelques jours après une autre lettre de Monsieur Orsini datée de Compiègne que j’ouvris cette fois. Elle portait simplement ces mots : Orsini-linge-toilette-tabac. »

Desoubrie revint voir la blessée et apprend d’elle la visite de la voisine ce qui le fait entrer en colère.  « Madame Orsini le supplie de la laisser partir et de ne rien faire contre Picourt, Vauvilliers et un fermier. Jean Jacques promit, il ne voulait point laisser partir Madame Orsini…il donna finalement l’autorisation de la laisser sortir de l’hôpital. J’ai donc ramené moi-même Madame Orsini dans une clinique de Neuilly où il a fallu l’opérer aussitôt ».

A la libération, un parent de Colette Orsini, arrivé avec la division Leclerc, est informé de ces péripéties et lui recommande de prévenir Picourt mais probablement du fait de son état de santé, c’est Madame X qui vient à Chartres dans ce but le 2 septembre 1944 et y dépose son témoignage.

Selon ce témoin : Moreau a révélé les noms et le réseau à Desoubrie le 21 ou le 22 juillet. Son chef Pierre July est donc découvert. Il sera arrêté le 24 à Dreux.

Cet épisode de l’infiltration allemande dans la résistance autour de Dreux avec Moreau et July, Crucey avec Leroïc en passant par Chartres avec Picourt et St Piat avec Vauvilliers aurait pu détruire toute la résistance du Nord de l’Eure et Loir si l’arrivée des Américains le 15 aout 44 n’avait bloqué les arrestations à venir.

Car Raymond Picourt est en contact avec Jules Divers et son important groupe de résistants autour de Châteauneuf et Maintenon et que, de plus, Yvonne Leroïc connait Jules Vauchey, le chef du maquis de Crucey, avec lequel elle est en ménage ainsi que Sinclair et Silvia Montfort, les dirigeants du département.

Au-delà, la piste de Crucey, de SINCLAIR et de tous les groupes d’Eure et Loir est ouverte pour cet agent particulièrement redoutable.

La pharmacie de Picourt ayant reçu des bombes lors du bombardement de Chartres le 30 juin 44, le pharmacien s’est réfugié à Barjouville qu’il quittera précipitamment pour Villebon quand il apprendra la trahison de Desoubrie.

Mais son épouse est toujours à Barjouville où elle voit arriver Desoubrie et plusieurs hommes tassés dans sa Citroën, le 8 aout 44. Ignorant la trahison elle lui communique l’adresse du refuge de James Bozarth aviateur tombé à Lèves le 1er aout. Il y a aussi plusieurs aviateurs cachés à Villebon avec Raymond Picourt mais Desoubrie n’aura pas le temps d’aller les chercher.

En effet, le 26 juillet 1944, six aviateurs sont tombés, dans un crash vers Orgères en Beauce et un vers le Gault Saint Denis. John K F Mac Donald, Bernard R Justason, et William Calderwood sont conduits par R. Picourt à Villebon où ils resteront jusqu’à l’arrivée des Américains.

Les 3 autres : Harold Kemley, Maurice Grimsey, Harry Chamberlain, sont cachés chez un cantonnier près de Villampuy où ils retrouvent d’autres aviateurs : Campbell, Lyons, Donaldson et Jones. Tous seront acheminés vers Fréteval le camp secret créé par la résistance dans le bois de Bellande, Chamberlain les rejoignant fin juillet et y seront délivrés par l’arrivée des soldats US.

Finalement seul Bozarth sera capturé par la Gestapo de Paris où il est conduit par le traitre. Déporté à Buchenwald et libéré en 1945, il sera l’un des témoins révélant l’ampleur de la trahison de Desoubrie.

En juin et juillet 1944, au moins 150 aviateurs tombés en Eure et Loir sur 168, passent par Orsini et Desoubrie. Ces aviateurs seront conduits à Paris rue des Saussaies au siège de la Gestapo, puis à Fresnes avant d’être déportés à Buchenwald sous la condamnation de saboteurs, ayant été pris en vêtements civils. Transférés au Stalag Luft III à Sagan en Allemagne le 19 octobre 1944, deux aviateurs y laisseront leur vie (Lewet Beck et Hemmens) sur les 51 convoyés par DESOUBRIE en provenance du réseau Picourt.

Desoubrie récupérera aussi 33 autres aviateurs chez le couple Vauvilliers et des dizaines d’autres tombés dans le nord du département et dans l’Eure voisine après leur récupération par les maquis de l’Eure, de Crucey ou de Dreux. A chaque livraison, un « dédommagement » attend Desoubrie à la Gestapo.

Raymond Vauvilliers et sa femme, les bouchers de Saint Piat, véritables figures de la résistance d’Eure et Loir semblent être les pivots contre leur gré de l’opération des services de renseignements allemands qui conduiront à la destruction des maquis de Dreux et Crucey avant d’attaquer en août celui de La Ferté Vidame.

Raymond Picourt, l’agent secret de De Gaulle à Chartres s’est fourvoyé dans les contacts avec Henry rescapé du réseau Comète après son démantèlement.

Il avait débuté dans le renseignement et l’espionnage au travers du groupe Sussex. Lorsqu’il est contacté le 15 août 1943 par le Mouvement de Libération Nationale (MLN proche de Combat), c’est au titre d’agent de renseignements.

Mais, 3 jours après ce contact et rompant avec le cloisonnement exigé, Raymond Picourt recueille son premier parachutiste anglais. D’autres, beaucoup d’autres suivront, adressés par des résistants, comme M. Lecureur, minotier à Orgères qui lui en adresse huit par petits groupes. Un total de quatre-vingt aviateurs est attribué à cette récupération dont cinquante et un passeront par l’appartement privé de Raymond Picourt.

Parmi eux on relève :

  • Lewett Beck pilote d’un P 47 crashé vers Anet le 29 juin 1944 qui  fût déporté à Buchenwald où il décédera
  • John D. Harvie navigateur sur Halifax abattu le 5 juillet 1944 à Laons seul survivant de l’équipage
  • James Bozarth mitrailleur sur forteresse volante tombé le 1er août 1944 à Chartres

     

Lewis Beck                                                                    

 John D. Harvie 

  

 James Bozarth

La préparatrice de Raymond Picourt, Mlle Foreau cachera aussi des parachutistes chez elle à Lèves comme le pilote tombé à côté de Lucé le 28 mai 1944.

Cet afflux de pilotes et aviateurs dans le réseau Picourt intéresse la Gestapo et l’infiltration de Desoubrie, facilitée par les faiblesses des règles de sécurité du « réseau Picourt » vont porter ses fruits amers.

Ainsi, de contact en contact Desoubrie remontait toutes les filières de récupération des aviateurs mis à part celle de Fréteval.

Le bilan est énorme, des centaines de pilotes, de radios et de navigateurs si précieux pour les alliés passèrent par les griffes de la Gestapo avant d’aboutir dans les camps de concentration.

Les services de renseignements possèdent aussi par le truchement des contacts de Desoubrie avec les maquis, une idée précise des forces des « terroristes ».. Les réseaux de récupération infiltrés seront détruits progressivement dès le débarquement car à cette date les alliés ne récupèrent plus leurs aviateurs ; ils sont dirigés sur le camp clandestin de Fréteval et restent en France en attendant les libérateurs.

Les maquis de Dreux et Crucey vont disparaître dans leur forme du début de la résistance. L’équipe de Crucey pourra tout de même continuer le combat en changeant une nouvelle fois d’abri dans les bois de Prudemanche cette fois.

Finalement Jacques Desoubrie est arrêté à Augsbourg en Allemagne le 10 mars 1947, transféré et jugé en France.

 Photo presse prise à son procès de Paris

Condamné à mort par le tribunal à Paris, il est fusillé le 20 décembre 1949 dans les fossés du fort de Montrouge en criant « Heil Hitler ». Quant à Orsini, elle passera au travers de la justice et bénéficiera d’un acquittement en mai 1946.

Les aviateurs et “hébergeurs” du Réseau HUNTER

Voici une liste (incomplète) des aviateurs alliés secourus et les noms de leurs “sauveteurs”. Chaque aviateur était déplacé régulièrement d’une maison à une autre, d’un village à un autre pour brouiller les pistes. Ainsi, figure les noms des résistants ayant recueilli les aviateurs avec la date de leurs interventions.

Aviateur secouruDateHébergeursObservations
Aviateur non identifié (USA) Lt Ralph BRUCE?06.09.1943 06.09.1943 Sept 1943  M. CARON (St-Germain-S/Avre) M. LUCAS (St-Germain-S/Avre) Mme VERRIAT (Courbevoie-92)92nd BG, 407st BS Crash le 03 Septembre 1943 Vers Saint-André-de-l’Eure
Clitfon TUCKER (RAAF)05.02.1944 05.02.1944 Février 1944F. MARECHAL (Mesnil S/Estrée) Palmyre MARTIN (Mesnil S/Estrée) André VIGOUREUX (Illiers-l’Evèque)175 Squadron Crash le 05.02.1944 à Mesnil S/Estrée Prisonnier
Donald LEWIS (USA, 2ème Lt)05 Avril 1944 Avril 1944 Avril 1944 Avril 1944 ? 10/13.04.1944   Juillet 1944  Marcel FOUCHET (Marcilly) Emile LACOIX (Marcilly) Dr DAUPHIN (Nonancourt) Léon TROSSEAU (Nonancourt) M. ESQUERRE (Nonancourt) André PEMMERS (La Madeleine) Filière  “CRUCEY” Docteur DUFOUR363th FG, 382th FS Crash le 05 Avril 1944 au Nord de Dreux Grièvement brûlé. Evadé camp de Frèteval
HOURRIGAN Edward (RAAF)Fin Avril 1944 Mai 1944 20.05/17.06   Juillet 1944  M. SIMON (Nonancourt) LE LEDAN (Nonancourt) Roland DABLAN (Breux) Filière “CRUCEY” Docteur DUFOUR466 Squadron Crash du 06/07 Mai 1944 à Mantes-à-Jolies Evadé camp de Frèteval
DICKENS Jack (RAF)Fin Avril 1944 Mai 1944 20.05/17.06   Juillet 1944  M. SIMON (Nonancourt) LE LEDAN (Nonancourt) Roland DABLAN (Breux) Filière « CRUCEY » Docteur DUFOUR466 Squadron Crash du 06/07 Mai 1944 à Mantes-à-Jolies Evadé camp de Frèteval
BOOKER Stanley (RAF, F/O)Début Juin 44 06/15 Juin 1944 Juin 1944 Juin 1944 15 Juin  Mme LEFEVRE (St-George-Motel) Mme ORIAL (BUZY) Palmyre MARTIN (Le Mesnil S/Estrée) Marcelle SEGUI (Le Mesnil S/Estrée) Julienne DUVAL (Estrée) Réseau PICOURT10 Squadron Crash le 02/03 Juin 1944 à Saint-André-de-l’Eure Prisonnier
OSSELTON John (RAF, Sgt)06/15 Juin 1944 Juin 1944 Juin 1944 15 Juin 1944  Mme ORIAL (MUZY) Palmyre MARTIN (Le Mesnil S/Estrée) Marcelle SEGUI (Le Mesnil S/Estrée) Julienne DUVAL (Estrée) Réseau PICOURT10 Squadron Crash le 02/03 Juin 1944 à Saint-André-de-l’Eure Prisonnier
Terry GOULD (RAF, Sgt)  06/10 Juin 1944  Maurice PORCHET (Jersey) M. GUICHEUX (Lignerolles) Jean-Jacques DESOUBRIE?10 Squadron Crash le 02/03 Juin 1944 Vers Saint-André-de-l’Eure Prisonnier
HALLET Clifford (RAF)02/14 Juin 1944 14 Juin 1944   Juillet 1944  Elie THOROSON (La Madeleine) ESQUERRE (Nonancourt) Filière “CRUCEY” Docteur DUFOUR10 Squadron Crash le 02/03 Juin 1944 Vers St-André-de-l’Eure Evadé camp de Frèteval
      
Goffred. F. MORETTO (USA, 2ème Lt)12/15. 06.1944 15.06.1944 Juin 1944 Eté 1944   11.07 au 06.08 6/14.08.1944M. et Mme HUCHER (Moisville) M. GOIMBAULT (Moisville) Dr DAUPHIN (Nonancourt) Léon TROSSEAU (Nonancourt) M. GOIMBAULT (Moisville) Georges DESMARRES (Moisville) M. André JAFFREUX353th FG, 350th FS Crash le 12 Juin 1944 au Nord de Nonancourt Evacué sur CRUCEY.  Evadé
Donald SHAEREN (USA)Juillet 1944 5 jours  André VIGOUREUX (Illiers-l’Evêque) Mme ORIAL (MUZY) Jean-Jacques DESOUBRIE391st BG, 573rd BS Crash le 05 Juillet 1944 Vers Dreux
Robert WARD (USA)08 Juillet 1944 Juillet 1944 Juillet 1944 Juillet 1944 Juillet 1944        R. PICHONNAT (Courdemanche) Robert BIC (St-Germain) Henri MARVIN (Mesnil S/Estrée) Marcel LEMAIRE Pierre LUCAS (St-Germain-S/Avre) Palmyre MARTIN (Mesnil-S/Estrée) Marcelle SEGUI (Mesnil-S/Estrée) Mme ORIAL (MUZY) Jean Jacques DESOUBRIE91st BG,323rd BS Crash le 08 Juillet 1944 Vers St-André-de-l’Eure Prisonnier
      
Bernard SCHARPF (USA)Juillet 1944 Juillet 1944 Juillet 1944  Pierre ASSELIN (Marcilly) Julien LACROIX (Marcilly) Peut-être Mme ORIAL (MUZY) Peut-être DESOUBRIE91st BG, 323th BS Crash le 08 Juillet 1944 aux Env. de Nonancourt Prisonnier
James FORE (USA)08 Juillet 1944 Juillet 1944 Juillet 1944  Léopold DUVAL (Courdemanche) Henri DUVAL (Lignerolles) Groupe LACROIX (Marcilly S/Eure)91st BG, 323th BS Crash le 08 Juillet 1944 aux Env. de Nonancourt Prisonnier  
 Donald F. BRIDWELL (USA)  11.07/06.08.44 6/14.08.1944  GOIMBAULT (Moisville) Georges DESMARRES (Moisville) André JAFFREUX Réseau de CRUCEY91st BG, 323rd BS Crash le 08.07.1944 aux env. de Nonancourt
William Othuis MURPHY (USA)08 Juillet 1944 08/10.07.1944 10.07/13.08Joseph PERROT (Nonancourt) Jean BRIDOUX (Nonancourt) Georges MARRE (St-Lubin-des-J.)801th BG Evadé à la Libération
Jack POSTLEMAITRE (RAF)Juin 1944Mme LEFEVRE (St-George-Motel)  Non Identifié  
Georges SCOTT (USA)07 Juin 1944 Juin 1944  Mme ORIAL (MUZY) Mme LEFEVRE (St-George-Motel) Réseau PICOURTNon identifié Prisonnier
MARTIN James (USA)07 Juin 1944 08/16.06.1944  Mme ORIAL (MUZY) Marcelle SEGUI (Le Mesnil S/Estrée)  Non identifié
Robert CLARK (USA)Fin Juillet 1944  Mme ORIAL (MUZY)  Non Identifié
Jack DAVIS (USA, Capitaine) M. ESQUERRE (Nonancourt)Non identifié Capt William DAVIS?

Sources :

(Site : Forced Landing

La résistance en Eure et Loir. Albert HUDE, Ed. le petit Pavé

La traque des résistants. Fabrice GRENARD, Ed Tallandier

Témoignages : Moreau, Demortier communiqués par JP Curato sources britanniques

Photos famille Hauttaire-Desnos

Site : association-cedrel.fr

La Chance. William Picourt, St Honoré Ed.

Photo J.Bozarth. Pierre Doublet Léves. Archives Cedrel.

Archives de Bernard Guinguier)

 Desoubrie à la prison de Lille. 1947

Voyons maintenant dans le détail les opérations de destruction allemandes dans les groupes du Nord de l’Eure et Loir.

Les conséquences de la traitrise sur les maquis

L’activisme dont fait preuve Desoubrie aura aussi des conséquences sur la répression menée par les Allemands sur les organisations clandestines elles-mêmes.

Bien qu’il soit délicat de tirer des analyses définitives sur les dégâts subis par la Résistance du fait des infiltrations, un certain nombre de faits et de dates permettent de repérer une activité allemande souterraine en direction des maquis.

Certes, il est difficile de décrire les liens de subordinations des unités allemandes entre elles : Wehrmacht, SS, Territoriaux, Abwehr, Gestapo, Kommandanturs, police militaire, et unités de passage.

Dans les témoignages de l’époque, on cite « les Allemands » ou « la Gestapo » sans beaucoup de précision sur le sujet à propos de l‘intervention de forces allemandes sur un parachutage, un combat ou une perquisition.

Toutefois il apparait très crédible l’existence d’une organisation tendant à infiltrer la résistance avec divers objectifs : parachutages d’armes, arrestation d’aviateurs mais aussi connaissance des groupes et de leur structuration.

Le premier signe de cette opération de destruction apparait le 9 juillet 1944 avec l’arrestation du Docteur Dauphin de Nonancourt, un des responsables du réseau de récupération des aviateurs tombés dans l’Eure. Transféré à Evreux où il est interrogé sur ses activités, il ne sera libéré que par l’arrivée des Américains à la mi-août.

Pour ce qui concerne les groupes de résistants du Nord de l’Eure et Loir et, indépendamment du rôle de Roland Farjon, on constate une succession de dates et de faits qui tend à prouver l’existence d’une vaste opération de démantèlement menée par des spécialistes allemands du renseignement.

18 juillet 1944

Il faut partir du 18 juillet 1944 à Cherisy à coté de Dreux.

Ce soir-là, un commando comprenant les Dablin père et fils, Bergeron (groupe de Dreux), Montet (artificier de Crucey), le Hollandais (agent SOE parachuté) et Farjon (chef de la zone nord de l’Eure et Loir) déposent 80 kg d’explosifs sous les piles du viaduc de Cherisy qui explose à 3 heures du matin.

Avec cet attentat, il ne s’agit plus de combats nocturnes contre des convois ennemis dont les bilans sont tout de même limités, mais d’une attaque au cœur même du dispositif allemand qui alimente le front de Normandie avec cette ligne de chemin de fer cruciale pour l’approvisionnement.

Cette attaque a suscité l’intérêt des Alliés jusqu’à Eisenhower qui délivrera un message de félicitations aux résistants euréliens.

Côté allemand, la destruction par un commando local montre la nécessité d’une féroce répression et les services de renseignements peuvent fournir les éléments pour arrêter ces groupes qui ont réussi l’exploit que 14 bombardements alliés n’avaient pu voir aboutir. De plus, le même jour la résistance a fait sauter une tour de communications en forêt de la Ferté Vidame à l’autre bout du département.

C’est l’œuvre, cette fois, du maquis de la Ferté Vidame. Attaqué sur des voies de communications cruciales la Wehrmacht doit réagir.

Parallèlement à la préparation d’une vaste opération de démantèlement, les agents infiltrés continuent leurs missions de renseignement.

20 juillet

Sur le terrain de parachutage de la Pommeraie (Commune de la Saucelle) une bonne centaine de résistants de différents groupes sont en attente d’un parachutage de nuit. Il y a là tous les cadres de la résistance liée à Libération Nord :

Sinclair (Maurice Clavel) le chef départemental et sa secrétaire Silvia Montfort

Jules Divers chef du groupe important de Clévilliers

Claude (Pierre July) et son groupe de Dreux

Anatole (Joseph Le Noc) et le maquis de la Ferté Vidame,

Jules Vauchey et le maquis de Crucey-Brezolles

Jourdan (Marcel Confais) et le maquis de Saulnières

Victor (Jérôme Lévèque) groupe de Lhome-Chamondot

Duvivier (René Dufour) directeur départemental des vétérinaires

Le capitaine Pierre (Gérard Dedieu) agent du SOE parachuté

Tout ce monde s’agite pour baliser le terrain et recevoir les armes qui arrivent dans les lourds containers largués par 4 avions.

Pour la première fois la communication avec l’avion peut s’effectuer grâce à un appareil spécial livré antérieurement (système Euréka). Cela permet une approche précise de nuit pour éviter la dispersion des chargements et l’accrochage des parachutes dans les arbres.

C’est ainsi que, dans les conversations d’approche, les résistants apprennent du pilote l’attentat perpétré contre Hitler la veille.

Mais il y a deux jeunes hommes que personne ne connait et qui s’intéressent de près à l’Euréka sans être remarqués, sauf par Jules Divers qui les surveille. Tout se passe bien et chacun rentre au maquis avec son chargement sauf Dreux qui n’a pas assez de carrioles pour emporter son stock, lequel est caché dans le bois de Bellegarde.

21 juillet

Les Allemands lancent une opération de police à Châteauneuf en Thymerais et arrêtent Emile Vivier, Fascio et sa femme. Ils cherchent aussi un nommé Jourdan.

Le rapprochement est vite fait pour les résistants avec le parachutage de la nuit précédente : Vivier pour Duvivier, Fascio qui ressemble à Sinclair, même taille, mêmes gros verres correcteurs et sa femme qui porte assez bien un manteau de Silvia Montfort que les soldats ont retrouvé sur le terrain de parachutage.

Les détenus sont copieusement rossés par les soldats avant d’être innocentés et libérés.

24 juillet

Pierre July est arrêté sur les marches du palais de justice de Dreux puis interrogé durement par les soldats qu’il va conduire sur la cache d’armes enfouies à Bellegarde.

25 juillet

Dablin, son fils, Bergeron, Cailleaux et Montet sont activement recherchés et prennent la fuite, Montet vient se cacher à Senonches. André Lortie est arrêté.

Sinclair et Silvia prennent la fuite et vont se cacher dans l’Orne à Lhome-Chamondot au château de la Grande Noe chez Madame de Longcamp.

A 3 heures du matin un bataillon entier de soldats encercle le maquis de Crucey planqué dans le bois de la Rue. Les maquisards réussiront à sortir sans casse de la nasse ainsi constituée. Un seul est légèrement blessé à la main par les tirs aveugles des soldats.

Crucey, 4 heures du matin : une perquisition a lieu chez Yvonne Leroïc, (compagne de Jules Vauchey chef du maquis de Crucey) laquelle a mis son bistrot à la disposition de la résistance. Elle et sa fille Christiane sont réveillées par les soldats qui investissent les lieux. Ils ne trouveront pas Jules Vauchey qui s’est glissé dehors pour se cacher et s’allonger dans les touffes de dahlias qui sont devant la maison.

Yvonne est arrêtée et rejoint Pierre July qui est menotté dans le camion qui les emportent à Dreux. Elle sera déportée à Ravensbrück et reviendra en avril 1945.

Pierre July sera déporté le 17 aout et réussira à sauter du train qui l’emmène dans un camp de concentration.

Cette vaste opération de nettoyage avait été préparée depuis plusieurs jours car un gendarme de St Rémy sur Avre, averti de l’opération, était venu prévenir le maquis de Saulnières de ne pas se rendre à un parachutage prévu à la Pommeraie dans ces jours-là. Louvel, chef du maquis, n’a pas répercuté la consigne et le groupe de Taupin est parti à la réception pour découvrir les centaines d’allemands postés autour du bois de la Rue. Ils réussiront à prendre un chemin à travers champs pour aller se cacher pour quelques jours chez Fernand Thierrée maire de Crucey.

La résistance, décapitée provisoirement, se réorganise : Montet est envoyé à Dreux en remplacement de July et Ginette Jullian, l’opératrice radio, est déplacée d’urgence. Il s’agit de couper les liens avec tous les contacts connus de July qui pourraient être révélés aux Allemands.

Car une bonne partie de ces liens sont connus du contre-espionnage allemand par le travail d’infiltration de Jacques Desoubrie.

Par Picourt, Vauvilliers, July, Moreau et Orial, la filière d’exfiltration des aviateurs est connue des Allemands et cet organigramme complété par les renseignements obtenus à la Pommeraie lors des parachutages permet ce gigantesque coup de filet.

Les groupes de Clévilliers et de la Ferté Vidame sont intacts et continuent les attaques.

Jules Divers, chef de l’important groupe des Chaises, a organisé ses troupes de façon très décentralisée dans le but de détourner toute tentative d’infiltration coordonnée.

En assignant à chacun de ses adjoints une troupe de combattants sur un territoire déterminé et avec des objectifs spécifiques, il évite ainsi tout regroupement dangereux en cas d’infiltration ennemie.

Il y a cependant les parachutages qui sont un point faible pour la sécurité car ils nécessitent de nombreux participants pour enlever le matériel livré par les Alliés. Lors de ces réceptions des jeunes hommes se reconnaissent car ils ont fréquenté les mêmes écoles, les mêmes familles et les mêmes fermes. Cela crée nécessairement des fragilités dans le cloisonnement sévère imposé.

A la Ferté Vidame, c’est presque le même type d’organisation interne avec des groupes indépendants sur des zones géographiques déterminées à l’avance. Toutefois des regroupements sont opérés par nécessité de sécurité lorsque les Allemands conduisent des rafles sur des lieux de concentration de maquisards. La fuite et le repli sur des lieux secondaires favorise ces regroupements dangereux pour la sécurité des hommes.

Finalement, le travail d’infiltration de Desoubrie et de l’Abwher aura été très efficace sur le plan de l’arrestation des aviateurs dont plus d’une cinquantaine ont été pris en Eure et Loir et déportés. Au total, on estime que ces différentes missions ont concerné près de 1500 aviateurs alliés et leurs soutiens ce qui constitue l’un des plus grands bilans des opérations d’infiltration dans les rangs de la résistance.

Par contre, et malgré les coups très durs portés par les Allemands en juillet et aout 1944 contre les maquis, la résistance a réussi à se reconstituer et à poursuivre le combat une fois l’orage passé. Cela étant, il n’aura manqué que quelques semaines à Desoubrie pour réussir dans son entreprise de destruction des groupes de résistants car les forces alliées sont arrivées le 15 aout 1944 en Eure et Loir, modifiant considérablement le rapport de forces entre les Allemands et la résistance.

Schéma des relations entre les groupes, utilisées par l’agent infiltré
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