Le premier aout 1944 des escadrilles de B17 s’apprètent à bombarder le terrain d’aviation de Champhol. Sous les tirs de la FLAK allemande un appareil est touché et deux parachutes se déploient portant des aviateurs dont James Bozarth…
Conférence en Mairie de Lèves le 14 septembre 2024 à 15 heures
1er aout 1944, bombardement de Champhol
Lors de ce nouveau bombardement des installations allemandes sur le camp d’aviation, la FLAK, qui protège le camp d’aviation de Champhol, se déchaine sur les 58 forteresses volantes américaines B17.
L’une, d’elles touchée par un obus, est coupée en deux et des débris atteignent un autre bombardier qui va s’écraser aussi. Deux aviateurs sautent en parachute.
Pierre Doublet, un adolescent de 15 ans habitant avec sa famille rue de Longsault à Lèves voit descendre les 2 parachutes dont l’un atterrit à 50 mètres de chez lui. Le secteur est contrôlé par les Allemands et quiconque aide les aviateurs risque gros. Mais Pierre a la vitalité d’un jeune homme qui veut prendre ses responsabilités et affronter sa peur de l’arrestation.
Il court sur la route, puis repère l’aviateur tombé et enfin se dirige vers lui pour secourir ce soldat qui est blessé et ne peut se dégager seul de son parachute. Lentement, l’aviateur rejoint Pierre dans le bois pour s’y cacher de la vue des Allemands. Pierre lui fait retirer son uniforme, qui lui vaudrait une arrestation immédiate et lui procure des vêtements civils tout en le conduisant au réseau de résistance locale auquel participe Marcel Fargues et André Lesourd.
Il est donc récupéré par la résistance qui va le conduire dans le réseau Picourt après un séjour clandestin de 10 jours dans la ferme de la famille Foreau à Lucé où il est soigné par Denise la jeune fille de la maison qui est préparatrice en pharmacie chez Raymond Picourt rue de la gare à Chartres.
Dans l’uniforme, que Pierre endosse pour son plaisir personnel, il trouve le premier chewing gum de sa jeune vie et le consomme avec délice. Tout cela se passe dans le petit bois derrière chez lui et il s’en va cacher l’uniforme roulé en paquet tout en haut d’un arbre du bosquet. Il s’agit d’un If dans lequel Pierre a construit son observatoire tout en haut où il peut apercevoir les avions à Champhol. Le parachute est caché dans un grenier par les jeunes du hameau. Auparavant, Pierre a découvert le portefeuille de ce soldat et une photo apparait avec un nom : « Serg. Bozarth » que Pierre traduira par Serge Bozarth ignorant que le terme serg désignait en fait le grade de sergent. Il enveloppe la photo dans un papier sur lequel est dessiné un avion et l’oublie durant quelques années.
James BOZARTH Mitrailleur sur B17 américain
Pierre Doublet âgé de 15 ans en 1944 à Lèves
Ce précieux butin sera caché dans les sous-sols de la maison familiale et sera oublié durant presque 50 années.
En 1994, un texte municipal invite les habitants de Lèves à réaliser une expo avec des souvenirs ou des documents d’époque pour le 50ème anniversaire de la libération de Lèves. Pierre se souvient de ce trésor et l’exhume de sa cachette et raconte son sauvetage de l’aviateur dans un texte. Mr Jean Pierre de l’association Forced Landing, un chercheur spécialisé dans le monde des parachutages et crashes aériens, repère ce témoignage et va retrouver l’histoire de cet aviateur, son vol sur bombardier et finalement la famille de James Bozarth. Il identifiera aussi Harold Mapes l’autre aviateur tombé en parachute à coté de Bozarth et son arrestation par les Allemands. Les deux avions B17 qui ont été touchés avaient 18 aviateurs à leurs bords, seuls ces deux là ont survécu aux crashes.
Précision : les aviateurs doivent faire leur testament et emporter une photo d’identité.
Mais que sont-ils devenus après leur atterrissage à Lèves ?
Là, commence, la révélation de la trahison au sein des réseaux de résistance :
Pierre Doublet découvrira 50 ans après que l’aviateur, qu’il a sauvé, a été remis entre les mains de la Gestapo à Paris après avoir transité par le réseau Picourt. Revenu des camps de Buchenwald et Sagan Luft III et en pesant plus que 40 kg, Bozarth révèlera la traitrise qui concerne des dizaines d’aviateurs ainsi livrés aux Allemands. A noter que Herman Göring a fait déplacer nombre d’aviateurs alliés vers un camp spécial à Sagan où les conditions de détention étaient un peu meilleures, ceci dans un geste corporatiste envers les aviateurs.
Empêcher les aviateurs de regagner l’Angleterre est une priorité pour l’occupant et de gros moyens sont mis en place pour cela avec les services spécialisés du contre-espionnage allemand. De même, récupérer ces aviateurs compte beaucoup pour le moral des jeunes gens qui attendent le départ depuis Southampton. De plus former un pilote ou un radio nécessite 6 mois de travail avant de lui confier un bombardier qui est construit en à peine un mois.
L’enjeu est donc la consolidation et le développement des réseaux d’évasion à partir de la France occupée.
Il existe deux réseaux principaux ici : Hunter et Comète.
Le réseau Hunter Nord
Il se développe à partir de la région de Nonancourt à cheval sur l’Eure et l’Eure et Loir et ce autour du docteur Raoul Dauphin et des groupes de résistance animés par Nivelt, Le Lédan et Cutuil. Le réseau s’appuie sur une série de contacts d’hébergeurs qui vont cacher les aviateurs quelques jours avant leur transfert vers d’autres planques. Une ligne d’évasion est mise en place depuis Muzy dans l’Eure où Madame Orial et son aide Geneviève Desnos récupèrent de nombreux aviateurs tombés. Cette zone est très dangereuse pour les avions alliés partants de Grande Bretagne pour aller bombarder les installations allemandes de la région parisienne ou celles d’Allemagne.
Ils doivent traverser la Normandie et le nord de l’Eure et Loir où les ennemis ont placé beaucoup de postes de tirs anti-aériens avec leurs canons de 88. De plus une escouade des chasseurs de Göring est basée à St André de l’Eure pour surveiller cette voie aérienne.
La ligne Comète
Andrée DE JONGH responsable du réseau Comète
Il fût mis en place par la résistance et animé par une femme, Andrée Dejongh, puis par son père, deux Belges entrés en résistance dès 1940. Comète est né en Juin 1941. Andrée DE JONGH s’attela alors à l’immense travail d’organiser une ligne d’évasion : pendant des mois, elle prit des contacts avec des résistants pour créer ce réseau, héberger les aviateurs, leur fournir des vêtements civils, des faux papiers. Elle recruta des guides basques, familier du passage des Pyrénées, organisa des relais, recruta des fermiers basques qui pouvaient cacher les pilotes en transit. Le réseau d’évasion est d’abord surnommé la “ligne DEDEE”
Ces deux réseaux ont été infiltrés par des agents allemands ( les V.Mann) et détruits en grande partie par l’action, entre autres d’un nommé Jean Jacques Desoubrie. C’est un sujet belge qui voue une dévotion extrême au régime nazi et qui ne déteste pas être rétribué à la livraison d’un aviateur. Chaque prise lui rapporte 20 000 francs.
Qui est Jean Jacques Desoubrie ?
Né le 22 octobre 1922 en Belgique dans une famille ouvrière, il a été très peu pris en charge par ses parents qui s’installent en France quand il atteint l’âge de 10 ans. Il passe le certificat d’études et un diplôme de mécanique à 17 ans.
Errant dans Lille fin 1940, il est arrêté par les Allemands qui le sanctionnent pour avoir porté un signe distinctif gaulliste sur lui. Il est fouillé et on trouve sur lui une fausse carte d’identité qui lui vaut une mise au secret 5 jours durant où il est copieusement battu par les soldats.
Insigne gaulliste, fausse carte, tout dans le personnage peut le destiner à la résistance naissante.
C’est l’inverse qu’il choisit en dénonçant les auteurs des faux papiers du café Vauban de Lille où il a noué ses contacts. Plusieurs personnes sont arrêtées dont il n’aura plus de nouvelles.
Logiquement, les Allemands lui demandent de travailler pour eux mais il refuse.
Il échoue en banlieue de Paris, sans emploi, où il survit ainsi plusieurs mois. En février 1941, il décroche un emploi de mécanicien au Fort d’Ivry transformé par la Wehrmacht en atelier de réparation de véhicules. C’est là qu’il rencontre un lieutenant allemand qui va le prendre en main et qui voit la possibilité d’un recrutement de ce jeune homme paumé. Les discussions s’approfondissent entre eux et Desoubrie découvre que l’idéologie nazie correspond à ces idées. Plusieurs fois sollicité par ce lieutenant, il accepte de se rendre à l’Abwehr , les services secrets militaires allemands.
Desoubrie
Les services d’espionnage allemands ont même réussi à retourner quelques opérateurs radio alliés, parachutés en France et arrêtés, lesquels vont continuer à émettre sous contrôle allemand et attirer ainsi des dizaines d’agents qui tombent entre les mains de la Gestapo.
Le réseau Picourt à Chartres
Parmi ces réseaux de récupération d’aviateurs figure le réseau Picourt du nom du pharmacien de Chartres qui tient boutique avenue de la gare. Raymond Picourt est agent de renseignement gaulliste immatriculé à Londres. La règle de sécurité implique le cloisonnement de sa mission qui doit être unique.
Or Picourt est sollicité pour cacher des aviateurs chez lui et même de les convoyer à Paris où ils sont pris en charge. Il accepte.
Débordé par le flux des arrivants, il en confie quelques-uns à la fille de sa voisine qui ne fait pas partie de la résistance.
Raymond Picourt
Un réseau se met en place autour de Picourt, sa préparatrice en pharmacie Melle Foreau et Mme Orsini la voisine.
Que s’est-il donc passé dans le réseau Picourt ?
Lorsque Raymond Picourt s’adresse à Madame Trenoy sa voisine âgée et sa fille Colette Orsini, il ne se doute pas un instant de la machination qui va se mettre en place au profit de la Gestapo.
Après avoir convoyé quelques aviateurs à Paris, Madame Orsini obtient un contact avec un ingénieur habitant rue de Madrid qui se nomme Henry et qui est un ancien du réseau Comète. Picourt va le rencontrer à Paris avec elle et la livraison des aviateurs prend de l’ampleur.
Ce que tous deux ignorent, c’est que Henry a été retourné par la Gestapo après son arrestation et qu’il travaille désormais pour elle. Et Henry présente Desoubrie au réseau chartrain sous le nom de Jean Masson ou Pierre Boulain.
Tout se met en place avec l’appui de Guy Moreau, un instituteur, authentique résistant du groupe de Dreux, ancien agent de liaison du réseau Hunter, qui se charge de récupérer les aviateurs tombés et pris en charge par les résistants dans les villages comme celui de Madame Orial à Muzy.
Desoubrie remonte toute la filière des groupes de la résistance : Picourt le présente à Raymond Vauvilliers de St Piat qui le recommande à Pierre July lequel le met en contact avec Madame Orial, etc…
Geneviève Desnos à Muzy
Elise Orial et Stanley Booker (aviateur US)
MM.Vauvilliers, bouchers de Saint Piat
Cela fonctionne pendant plusieurs semaines et Desoubrie livrera au moins 50 aviateurs tombés en Eure et Loir et dans l’Eure comme Bozarth, aviateurs passés par le réseau Picourt. Son tableau de chasse total dépassera 150 aviateurs alliés dont la plupart ne reviendront pas des camps de la mort.
les camps de la Mort
Les masques tombent
Fin juillet 44, après l’attentat de Cherizy du 18 juillet 1944, Desoubrie abat ses cartes et tire une balle dans l’abdomen de Mme Orsini devenu sa maitresse. Guy Moreau est arrêté avec elle à Paris et parle. Il s’était vanté d’avoir fait le coup de feu contre les convois allemands et participé à l’explosion du viaduc. Desoubrie obtient de lui la confirmation du rôle de Pierre July, chef du groupe de Dreux, lequel sera arrêté et torturé avant d’être déporté.
Avec cet aveu qui confirme beaucoup d’informations détenues par les services allemands, plusieurs arrestations vont suivre dont celle de Yvonne Léroîc à Crucey. Plusieurs chefs de la résistance départementale sont obligés de fuir comme Sinclair et Silvia Montfort, Confais, Montet, Mary Thibault, etc, etc. des maquis sont encerclés ou détruits (Crucey, La Ferté Vidame, Saulnières)
Les américains sont aux portes du département et Desoubrie avec sa bande n’ont pas le temps de finir leur trahison. Quelques aviateurs ont été récupérés chez Picourt et chez Vauvilliers puis Desoubrie et sa bande partent en Allemagne.
Il sera arrêté à Augsbourg en 1947 et rapatrié en France, jugé et condamné à mort. Il est fusillé au fort de Montrouge le 20 décembre 1949 avant de crier une dernière fois : Heil Hitler.
Orsini sera acquittée en 1946 et Picourt sera jugé et finalement blanchi des accusations de traitrise.