Le maquis de Crucey est encerclé par un bataillon.
Qui étaient ces maquisards retranchés au Bois de la Rue ?
Jules Vauchey est de ceux-là. Il est né en 1896 et tient un café à Malakoff en banlieue parisienne tout en étant douanier comme brigadier d’octroi. En 1939, il s’installe à Crucey et y rencontrera Yvonne Leroic qui tient le Cri Cri d’Or café du village, et qui deviendra sa compagne de résistance.
Jules Vauchey, un peu oublié aujourd’hui décèdera à Louvilliers en 1960 et est enterré à la Framboisière.
Vauchey va construire un noyau de gens sûrs pour agir contre les allemands. Cela prendra plusieurs années et au début de 1944, il peut compter sur des gens déterminés. Un maquis sera constitué au bois de Paradis, après le bois de la Rue par des jeunes gens encadrés par quelques anciens comme Vauchey ou Raymond Dive.
On y retrouvera aussi Fernand Thierrée, maire de Crucey, Montet l’artificier, l’électricien Albert Marie et son fils, Raymond Renard de l’équipement, Georges Elie et bien d’autres.
Les jeunes affluent. Ils se nomment Jean Rousseau, son frère Robert et son cousin Jacques, Louis Boilly, Gilbert Caillé, Pierre Gaudin, Marcel Thibault, Albert Chauvin, Maurice Pescheux, Georges Lenfant, Robert Monnet, Christian Vieljeux, Roger Angoulvant, le séminariste Joseph Hul, le Grand Charles. A cette troupe s’ajouteront après leur évasion 4 sénégalais, le marocain Abdelkader et l’algérien Zabel tous anciens soldats français prisonniers depuis 1940 dans la région.
Une foule de réfractaires STO arrive donc aux maquis. Il faut tester leur capacité de discrétion et d’engagement et on les place en ferme pour les tester.
3 sur 10 seulement seront pris au maquis. Mais ceux là seront les meilleurs.
Comment sont organisés les maquis ?
Donnons la parole à Raymond Dive, chef de groupe du maquis de Crucey sous la direction de Jules Vaucher où ils sont une quinzaine dans le bois à chercher à s’abriter pour y dormir :
.”On pense d’abord à la litière ; puis, quand le matelas de feuilles ou de fougères parait suffisant pour faire oublier au corps les bosses des cailloux ou des racines, on pense à se préserver contre le vent, contre la pluie probable et aussi contre les regards des visiteurs imprévus.
Plus tard le logement prendra l’allure d’un véritable camp retranché au bois de la Rue avec cabanes en bois recouvertes de végétations, tente marabout pour les réunions, réfectoire en plein air, poste de commandement et même prison”
Il faut nourrir la troupe de jeunes gens affamés et c’est le rôle indispensable des habitants qui soutiennent les maquis. Sans eux, et ils seront nombreux, les résistants n’auraient pas pu tenir dans la clandestinité.
Ils méritent d’être cités et notamment : le couple de charbonniers Tessier à la Rue, la ferme Lefol à la Couvertière, Mme Dejonc au château de Paradis
Quant au tabac, très recherché et très rare à l’époque, ce sont des commandos de résistants qui dévaliseront les dépôts officiels comme seront dévalisées les mairies pour récupérer des tickets d’alimentation.
Nourris et logés, il faut maintenant former au combat tous ces jeunes qui n’ont jamais fait de service militaire. Leur apprendre le maniement d’armes, le tir, et surtout la discipline et la discrétion.
Les liens avec la famille et les amis doivent être revus car toute indiscrétion met en péril tout le maquis que la Gestapo et la Milice cherchent à détruire.
On ne quitte pas le maquis sans une permission du chef. Si quelqu’un ne respecte pas les consignes de sécurité, une sorte de tribunal se réunit et condamne le résistant. Et d’ailleurs c’est ce qui se produit au maquis puisque dès la première nuit au bois de la Rue le 6 juin, 2 hommes disparaissent et il faut les retrouver d’urgence car tout le groupe est en péril.
Aussi, Vauchey décide de se porter vers le Bois de Paradis d’urgence.
Comment trouver des armes ?
Au début, ce sont deux ou trois pétoires de 14-18 et quelques fusils de chasse ayant échappé à l’obligation de dépôt à la mairie, qui sont les seules armes du maquis de Crucey.
C’est très insuffisant pour agir militairement et les résistants se bornent à saboter les lignes électriques et téléphoniques dont les poteaux sont sciés au passe-partout ou bien ils suppriment les poteaux indicateurs pour désorienter l’occupant sur les routes.
Les armes sont en Angleterre, pays qui ne sait presque rien de la résistance naissante car il n’y a pas de moyen de communication. En France occupée, les postes de radio ont été déposés en Mairie comme les armes de chasse sur instruction de la Kommandantur.
Voici un cas précis de parachutage :
Le 20 juillet 1944 à La Pommeraie la nuit est noire et le brouillard s’est levé. Au sol il y a le capitaine Pierre JEROME (Gérard Dedieu), Jules Divers (Les Chaises) ainsi que Bonnin et Confais, Raymond Dive et Fernand Montet (Crucey), ANATOLE (Joseph Le Noc) de La Ferté Vidame et SINCLAIR (Maurice Clavel) le Chef départemental de la Résistance. Les groupes de Dreux, Saulnières et Maillebois sont également présents.
SINCLAIR utilise le « S Phone » appareil de communication directe avec le pilote reçu lors d’un précédent parachutage. L’avion est encore au-dessus de Verneuil sur Avre quand la communication s’établit.
Au sol une balise démontable (EUREKA) est branchée sur une antenne mobile qui émet un signal puissant grâce à une batterie et l’avion perçoit le signal quasiment depuis son décollage en Angleterre. Il n’a plus qu’à suivre sur son cadran (REBECCA) pour arriver au lieu de réception. Photo antenne
Cet appareil est si précieux qu’il a été piégé au montage pour éviter qu’il tombe intact aux mains de l’ennemi. Avec une précision de l’ordre de 50 mètres la réception est facilitée.
Les armes sont là. Il y a des mitraillettes STEN, des fusils mitrailleurs GLEN, des mines anti chars, des grenades, et des crottins avec toute la panoplie des crayons allumeurs. Cependant, les notices sont en anglais que personne ne parle sauf Popeye. D’où la nécessité d’une formation poussée des recrues sans expérience.
La nuit, on entendra parfois des tirs dans les bois autour de La Framboisière ; ce sont les maquisards qui s’entraînent avec leurs instructeurs.
La Résistance va passer à l’action militaire.
Le choix de la stratégie adoptée résulte de cet immense déséquilibre des forces en présence. Pour la résistance, c’est l’attaque surprise qui est choisie.
Il n’y aura aucune bataille frontale, ce qui aurait été un suicide. Les « terroristes » comme les nomment les allemands, repèrent des objectifs, arrivent en silence la nuit, frappent et s’évanouissent dans la nature. Ils connaissent chaque chemin, chaque bosquet, chaque ferme amie et l’ennemi ne peut les poursuivre.
Mais si l’un d’entre eux est pris, souvent sur dénonciation de français, c’est l’exécution immédiate. A Crucey, il y aura quelques blessés au combat mais pas d’exécution tandis qu’à la Ferté Vidame 3 maquisards de 20 ans seront torturés puis fusillés au Château du Gland en aout 44.
Les attaques avec des crottins et celles avec des mines de 3,5 kg deviendront fréquentes sur les routes empruntées par les convois allemands. Elles se déroulent loin des habitations pour éviter les prises d’otages et ne donneront lieu à aucune arrestation de résistants.
La stratégie s’avère payante pour la résistance.
Cependant, les maquisards ne sont pas à l’abri des dénonciations ou des informations obtenues par la gestapo auprès des résistants arrêtés.
La destruction du maquis de Crucey.
Tant que ce groupe de résistants est fixé à Paradis ou à la Rue, il se spécialise dans les attaques de convois avec les explosifs placés la nuit sur les routes. Une fois leur effet assuré sur les convois, ce sont les mitraillettes, les grenades et le fusil mitrailleur qui entrent en action.
Mais si cela est demandé par le commandement départemental, le maquis fait des prisonniers parmi les soldats. Ainsi, le 9 juillet, Silvia Montfort vient à la Rue pour passer cette consigne. Dive et Farjon partent avec le grand Charles sur la route de la Framboisière où deux soldats ont été repérés. Une courte bataille a lieu et les soldats sont désarmés. L’un d’eux résiste et doit être abattu par Dive. Il sera enterré dans le bois de Paradis après avoir été délesté de ses armes et ses papiers. L’autre est ramené au maquis où il effectuera les corvées pour les maquisards, ne regrettant pas du tout sa vie de soldat.
Il sera libéré par l’attaque allemande du maquis qui se déroule le 25 juillet 1944.
Ce jour là, à l’aube, 600 à 800 soldats encerclent le bois de la Rue, les chemins et les hameaux alentour. La veille et l’avant-veille des camions de miliciens sont apparus dans le hameau et ont fait feu en direction du bois en tirant à l’aveugle.
C’est donc l’alerte au maquis. Ils sont 15 terrés dans le bois avec leurs armes et se positionnent en hérisson à la corne Nord Ouest du massif. Le combat est trop inégal et c’est un massacre qui s’annonce. Pendant que Raymond Dive, qui était à l’extérieur au moment de l’encerclement, tente de contourner le bois revêtu de son uniforme de cantonnier, les maquisards décident d’enterrer leur armement et de tenter une sortie par petits groupes entre les patrouilles qui ne peuvent tout boucler compte tenu de l’étendue de la zone.
Avec des outils de bucherons, ils sortent progressivement et se réfugient vers Angennes. Les Allemands ne trouveront rien dans le bois où ils tirent à l’aveugle dans les fourrés où ils progressent. Un maquisard sera touché légèrement par une de ces balles perdues mais tous sont sains et saufs. Dès ce moment, le maquis de Crucey déménage ailleurs où il continuera les attentats sur les routes. Plus tard, les cabanes seront réoccupées quelques nuits en fonction des besoins des maquisards.
Comment les Allemands sont-ils arrivés à connaître le lieu du maquis ?
Depuis le débarquement du 6 juin 44, la résistance est présente à Paradis et à la Rue. Il y a des allées et venues d’hommes jeunes, inconnus des habitants des hameaux, ce qui interroge certains. Dans le café d’Angoulvant à la Rue, certains maquisards s’attardent en bavardages inconsidérés. L’un d’eux y exhibe sa STEN pour impressionner les clients et le chef du maquis doit sanctionner ; il sera muté dans un autre maquis.
Le secret, gardien de la sécurité de chacun, est mal gardé et des informations peuvent remonter à la Gestapo de Brezolles.
Ensuite, intervient le 18 juillet, le plasticage du viaduc de Cherizy, c’est-à-dire de la voie ferrée principale pour le ravitaillement allemand de Normandie. L’attentat est à l’actif de la résistance départementale dont les éléments de Crucey comme Montet, Dive ou Popeye qui ont convoyés et posés les explosifs.
La Gestapo liquide ses dossiers et rassemble toutes les informations pour détruire les groupes de résistance du nord de l’Eure et loir.
Successivement les groupes de Dreux, Crucey et la Ferté Vidame vont être attaqués par la Wehrmacht :
Quant à Pierre July, il s’évadera dans des conditions obscures du wagon qui le conduit en Allemagne.
A Crucey les Allemands ont été conduits par July qui a sans doute parlé. Jules Vauchey est caché dans une niche à chiens derrière des touffes de dahlias et devant le café tandis que les soldats fouillent la maison. Sa compagne Yvonne sera déportée de camp en camp jusqu’en avril 45, date à laquelle elle rentrera à Crucey avec 37 kg de moins et une santé détruite.
Vauchey s’enfuira vers Morvilliers, puis plus loin quand les soldats détruiront la ferme où il s’est réfugié.
On reconstitue le maquis et on poursuit les attaques plus loin.
Les maquisards de Crucey reconstituent leur groupe dès le 26 juillet où ils se réfugient dans une grange à Angennes. Les armes cachées aux Mittereaux sont transférées dans les marnières de Revercourt et de nouveaux soutiens sont sollicités pour la nourriture comme Léopold Debue, Henry Cherrey ou Madame Marie.
Le 30 juillet 44 à 22 heures presque tout le monde est réuni à La Valéterie au bord de la Meuvette lorsque l’ordre d’attaquer sans relâche lui parvient. 2 équipes partent au combat : l’une aux Louvis sur la RN 839 et l’autre vers Sevard.
A Sevard, Dive place un FM servi par Gilbert Caillé et Marcel Thibault à 80 m de la route. Pierre Gaudin, Albert Chauvin, Louis Boilly, Boby Vieljeux et Raymond Dive assureront les tirs à la mitraillette. Des crottins et du plastic sont posés sur la route et on attend.
Deux camions arrivent de Brezolles et l’un accroche un explosif. C’est le signal des tirs pous les 5 maquisards équipés de STEN. Le FM est enrayé et ne peut assurer la destruction complète du convoi ; c’est donc le repli d’urgence vers La Valéterie. A noter que ce camp du maquis est installé à 100 mètres d’une batterie anti aérienne de la FLAK allemande, ce qui n’empêche pas les résistants de s’endormir tranquillement.
Le 9 aout, nouvel ordre d’attaque générale pour le maquis. 2 groupes sont constitués dont celui de Dive qui doit étrenner un bazooka reçu en parachutage. Le maquis a encore déménagé et se trouve maintenant vers Prudemanche. Il s’agit d’attaquer sur la RN 12 voie principale de ravitaillement allemand pour le front de Normandie. Les convois de chars et de véhicules blindés défilent sans arrêt vers le front.
Le 10 aout à 2 heures du matin, le groupe part en direction de l’Avre et de Dampierre. Après la traversée d’un marécage, les maquisards lourdement chargés se placent aux Carrières :
Georges Elie et Albert Marie sont près de la nationale dans un bosquet, Boby Vieljeux, Dive et Louis Boilly se placent en arrière avec le bazooka tandis que Pierre Gaudin et Vanelsue assurent la protection de retrait dans le bois avec le FM.
La cible est choisie avec précaution car il ne faut pas que les troupes ennemies soient trop nombreuses. A 4 heures un gros camion suivi d’autres arrive et le bazooka entre en action. Le coup est dévastateur en plein milieu du transport de troupes.
C’est l’ordre de repli pour les maquisards car les redoutables motos avec side-car surmonté d’une mitrailleuse dévalent le terrain pentu vers les assaillants en tirant avec des balles traçantes. Le brouillard s’est levé et les silhouettes des fuyards deviennent des cibles pour les allemands. Les dernières clôtures franchies, le moulin de la Bouverie est dépassé et les résistants se cachent un instant dans la côte du Plessis d’où ils voient passer sous leur nez les poursuivants. Tout le monde est sauf et regagne le repos vers Sotteville .
D’autres attaques nocturnes seront lancées par le groupe désormais très aguerri qui va loger quelque temps chez Joseph l’italien à Sotteville.
Les maquisards continueront le combat ensuite pour la libération de Dreux puis de Paris et enfin des poches de l’Atlantique.
Anecdotes :
Mairie de la Saucelle le 25 juin 1944 : Lors de l’attaque à la Saucelle un gendarme est pris à partie par la bande de malfaiteurs cachés dans le bois de Paradis selon des témoins peu dignes de foi. Les maquisards de Crucey sont assimilés un peu vite aux profiteurs de guerre. Pour en avoir le cœur net, le gendarme Echard de Senonches contacte l’abbé Corre qui correspond avec le maquis. Fernand Montet est prévenu et rencontre le gendarme avec l’abbé Corre pour restituer la vérité et disculper les maquisards de Crucey.
Roger Angoulevant de La Saucelle est chargé à 17 ans de surveiller le dépôt d’armes que le groupe de Dreux n’a pu emporter 2 jours avant au parachutage de la Pommeraie. Les soldats qui encerclent le maquis menacent de l’exécuter quand le Maire de la Saucelle obtient sa grâce auprès de l’officier allemand.
Gabriel Herbelin, chef du grand maquis de Plainville est né à la Saucelle au début du siècle dernier. Sa famille déménagera souvent et lui-même deviendra représentant chez le grainetier Truffaut, ce qui lui permettra beaucoup de contacts avec les cultivateurs. Il a probablement connu des jeunes de son age à la Ferté Vidame et chassé avec des Anciens comme Mary Thibault de Morvilliers.
Herbelin sera le parrain du maquis de la Ferté Vidame et transmettra 2 mitraillettes STEN à Joseph Le Noc le 3 février 1944, date de création de ce maquis.
Quelques mots sur Jacques Raymond DIVE :
Il est né dans la Marne à Warmeriville le 1er octobre 1910
Service militaire dans la Marine du 1/10/31 au 1/10/32 comme matelot 2ème classe
Père de trois enfants, il n’est pas mobilisé en 1939 ce qu’il refuse par une demande d’engagement volontaire pour une unité combattante refusée également.
En 40, agent cantonnier à Brezolles il est soumis à des menaces de sanctions du fait de son attitude patriotique.
En 41, il fait une campagne de démoralisation contre l’occupant et noue des contacts pour envisager une résistance armée.
En novembre 43 il prend contact avec Jules Vaucher à Crucey pour organiser un groupe de résistance armé.
1er juin 44 il est nommé chef de groupe et le 7 juin, il prend le maquis avec son équipe au bois de Paradis.